La croissance potentielle et l’équilibre budgétaire ne sont pas que des marottes d’économistes ou de « comptables ». C’est la prospérité collective qui est en jeu, comme l’expliquent François de Saint-Pierre, Associé-Gérant, Responsable de la gestion privée, et Julien-Pierre Nouen, Directeur des études économiques chez Lazard Frères Gestion.
Quelle est votre analyse de la croissance en France ?
François de Saint-Pierre : Sur les dix dernières années, la croissance de l’économie française a été en moyenne de 0,8 %, soit très proche de celle de l’ensemble de l’Union Européenne (+ 0,9 %), mais en deçà de la performance allemande (+ 1,4 %) ou britannique (+ 1,2 %). Cette croissance est dopée par une consommation artificiellement soutenue par la dépense publique. Elle est passée de 53 % en 2000 à 57 % du PIB aujourd’hui. Sur les cinq dernières années, l’activité non marchande constitue 28 % du PIB, contre 11 % en Allemagne. Quant à la production manufacturière, elle ne pèse plus que 11 % du PIB. Elle a été divisée par deux en trente ans, alors qu’elle continue de représenter 22 % en Allemagne. Comme le montre le graphique ci-dessous, la France et l’Allemagne étaient à des niveaux de prospérité et d’endettement comparables en 2005. Dix ans plus tard, l’Allemagne est beaucoup plus riche et relativement moins endettée.
Quel est l’impact pour l’emploi ?
Julien-Pierre Nouen : On constate en France un sous-emploi très élevé et une grande inégalité face à l’emploi. Le taux de chômage à 10 % représente le double de celui de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, qui ont pratiquement atteint le plein-emploi. Les jeunes et les seniors sont particulièrement impactés, mais le taux d’emploi des 25-64 ans est à peu près stable en France : autour de 72 %, alors qu’il a progressé de 69 à 79 % en Allemagne depuis quinze ans. Certains ont beau jeu de souligner le haut niveau de productivité des travailleurs français, mais la réalité est que certaines activités économiques à faible valeur ajoutée ne sont tout simplement pas viables avec le coût du travail en France. Ne survivent que les activités les plus productives. Et ceci se fait au détriment des plus fragiles et des plus éloignés du marché du travail. Pour compenser, on crée des emplois dans le secteur non marchand (+ 7 % sur les dix dernières années contre + 3 % dans le secteur marchand) et on maintient un système de transferts sociaux non financé. On observe ainsi que, depuis quinze ans, le poids des retraites est resté à peu près stable en Allemagne à 9 %, tandis qu’il a augmenté de trois points de PIB en France, atteignant 14 %. Pourtant, dans le même temps, la part des plus de 65 ans dans la population a connu une croissance plus importante en Allemagne qu’en France !
La mécanique est-elle brisée ?
FSP : Le financement des prestations sociales pèse essentiellement sur le travail et augmente son coût. Notre pays a perdu en compétitivité, en profitabilité, il a moins investi… D’où un problème de croissance de la productivité, dont la désindustrialisation en est une cause notable. L’industrie est en effet le secteur qui offre les plus forts gains de productivité. On ne peut pas espérer une forte croissance en devenant une économie de services, surtout lorsque la concurrence y est faible.
Quelles en sont les conséquences ?
JPN : Nos dépenses génèrent de plus en plus d’importations, ce qui influe négativement sur notre balance commerciale, même si la baisse actuelle de la facture pétrolière masque cette évolution. Les accélérations de la demande domestique ont de plus en plus tendance à entraîner une forte progression des importations, réduisant l’impact sur la croissance. Par ailleurs, nous devenons dépendants de l’extérieur pour financer notre endettement public, détenu à 60 % par l’étranger. Son coût paraît faible grâce à la politique de la BCE, mais il représente quand même 45 milliards d’euros par an, soit 5 milliards de plus que le budget de la défense nationale.
Quelle est votre conclusion ?
FSP : La lecture des rapports du FMI, de l’OCDE, de la Commission européenne et de la Cour des comptes laisse l’impression d’une lente dégradation des grands équilibres macroéconomiques. La monnaie unique n’a pas aboli la contrainte extérieure, comme la crise de la zone euro l’a rappelé. Il ne faudrait pas que l’amélioration conjoncturelle de la croissance fasse oublier la nécessité de réformes structurelles et de rééquilibrages. Pourtant, faire face aux enjeux de la croissance potentielle et de l’équilibre budgétaire est une question d’équité vis-à-vis des générations futures. C’est aussi une question de souveraineté, si nous ne voulons pas que nos créanciers décident pour nous !
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