Les dispositions contenues dans une loi de finances peuvent-elles être rétroactives ?


La composition de l’Assemblée nationale, issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, conduit à s’interroger sur les mesures fiscales nouvelles qui pourraient être votées d’ici à la fin de l’année et sur la possibilité que certaines de ces mesures soient rétroactives.

Le principe de non rétroactivité de la loi est posé par l’article 2 du Code civil qui prévoit que « la loi ne dispose que pour l’avenir » et qu’« elle n’a point d’effet rétroactif ». Au surplus, l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».

Ces principes sont applicables à la loi fiscale.

Ainsi, en raison du principe de non-rétroactivité des lois répressives, posé par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, les contribuables ne peuvent se voir infliger des sanctions à raison d’agissements antérieurs à la loi qui instaure les dites sanctions.

Pour respecter ce principe, lorsque le législateur a décidé d’étendre la possibilité offerte à l’administration fiscale de sanctionner pour abus de droit les opérations à but principalement ou exclusivement fiscal, il a prévu que la disposition nouvelle ne pourrait s’appliquer qu’aux opérations réalisées à une date postérieure à la promulgation de la loi. L’élargissement de la notion d’abus de droit a été voté dans la loi de finances pour 2019 mais ne s’est appliqué qu’aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2020.

Plus généralement, la rétroactivité doit s’apprécier par rapport au fait générateur de l’impôt.

En matière d’impôt sur le revenu, le fait générateur est le 31 décembre de l’année. Dès lors, il est possible, jusqu’au 31 décembre 2024, de modifier les règles d’imposition des revenus de l’année 2024. C’est en pratique ce qui se passe chaque année pour le barème de l’impôt sur le revenu. Celui-ci est voté dans le cadre de la loi de finances de fin d’année et s’applique aux revenus de l’année écoulée.

Cette situation, qui est parfois qualifiée de « petite rétroactivité », n’est pas considérée comme telle par le Conseil constitutionnel. En effet, celui-ci refuse de regarder comme rétroactives les dispositions des lois de finances applicables aux revenus de l’année de leur promulgation.

Dès lors, il sera par exemple possible pour le législateur d’augmenter les taux des tranches du barème de l’impôt sur le revenu applicable aux revenus de l’année 2024.

De même, le législateur pourra, dans le cadre de la loi de finances de fin d’année, modifier le taux de la flat-tax appliquée aux revenus de l’année 2024. Le législateur devrait même pouvoir supprimer la flat-tax et soumettre les revenus susceptibles de bénéficier de cette imposition forfaitaire au barème progressif.

En 2012, le législateur avait, dans le cadre de la loi de finances, voulu supprimer le prélèvement libératoire alors applicable aux dividendes et aux intérêts. Cette disposition avait à l’époque été censurée par le Conseil constitutionnel car elle remettait rétroactivement en cause le caractère libératoire de ce prélèvement. Malheureusement, l’imposition acquittée aujourd’hui au titre de la flat-tax lors de l’encaissement d’un dividende ou d’un intérêt ne constitue qu’un acompte qui n’est pas libératoire de l’impôt sur le revenu. Il devrait donc être possible de supprimer la flat-tax sur les revenus 2024 sans que cela ne soit considéré commerétroactif par le Conseil constitutionnel.

À l’inverse, une suppression du prélèvement libératoire appliqué aux intérêts extériorisés à raison des rachats effectués en 2024 sur des contrats d’assurance-vie alimentés antérieurement au 27 septembre 2017 serait rétroactif en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2012.

En matière d’impôt sur les sociétés (IS), si le législateur décide de modifier les règles d’assiette et de taux dans le cadre de la loi de finances, les modifications seront susceptibles de s’appliquer aux sociétés dont les exercices ne seront pas clos au 31 décembre 2024. En effet, le fait générateur en matière d’IS est la clôture de l’exercice.

Ainsi, une modification du régime applicable aux cessions de titres de participation votée dans la loi de finances de fin d’année pourrait impacter des opérations réalisées au cours de l’année sans contrevenir au principe de non-rétroactivité, dès lors que la cession aura été réalisée sur l’exercice en cours à la date de la promulgation de la loi.

L’appréciation de la rétroactivité par rapport au fait générateur de l’impôt protège en revanche les redevables de toute augmentation rétroactive des droits d’enregistrement et notamment des droits de succession et de donation. Il n’est pas possible de modifier a posteriori les règles de taxation d’une donation ou d’une succession. Il en est a priori de même pour l’impôt sur les plusvalues immobilières dont le fait générateur est la cession de l’immeuble et dont le paiement intervient lors de la cession.

S’agissant de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), son fait générateur est le 1er janvier. Il n’est donc a priori plus possible de modifier les règles de l’IFI 2024. Il n’est en particulier pas possible d’élargir l’assiette de cet impôt pour 2024. En revanche, il serait juridiquement possible qu’une loi de finances adoptée avant la fin de l’année instaure un impôt sur la fortune dont le fait générateur serait postérieur à la promulgation de la loi, mais antérieur au 31 décembre 2024. Cette possibilité apparaît néanmoins assez théorique de sorte que le retour à un impôt sur la fortune non limitée à l’immobilier ne devrait pas être possible avant 2025.

Rappelons néanmoins qu’en 2012, dans le cadre d’une loi de finances rectificative votée à l’été, il avait été instauré une contribution exceptionnelle sur l’ISF dont les redevables avaient dû s’acquitter à l’automne 2012. L’article de la loi de finances rectificatives pour 2012 instaurant cette contribution exceptionnelle n’avait pas été censuré par le Conseil constitutionnel.

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Voir aussi : https://latribune.lazardfreresgestion.fr/lettre-de-la-gestion-privee-3eme-trimestre-2024/

L’opinion exprimée ci-dessus est datée du 24 juillet 2024 et est susceptible de changer.

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