Inflation : vers une sortie du scénario « années 1970 » ?
L’envolée de l’inflation depuis 2022, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, a pu rappeler la forte hausse des prix observée dans les années 1970. Et malgré le repli des prix de l’énergie depuis l’été dernier, le chapitre inflationniste n’est sans doute pas encore terminé.
Prendre de la hauteur vis-à-vis de l’actualité permet de s’extraire du bruit de court terme et d’élargir son spectre d’analyse. Il y a deux ans, nous évoquions déjà le risque d’un retour de l’inflation à des niveaux élevés, avec la possibilité d’un scénario du type « années 1970 ». Bien que la conjoncture économique ait profondément évolué en cinquante ans et que la hausse des prix reste moindre, la comparaison entre les deux époques s’avère intéressante.
Jusqu’où peut-on comparer les années 1970 et 2020 ?
En 1973, le premier choc pétrolier avait marqué la fin des « Trente Glorieuses », avec le retour de l’inflation à des niveaux élevés dans la plupart des pays occidentaux. La fin de la convertibilité du dollar en or, décidée en 1971, avait également participé au mouvement inflationniste en supprimant au préalable le plafond d’émission monétaire aux Etats-Unis.
Un parallèle peut ainsi être tracé entre les années 1971-1973 et 2020-2022. En 2020, la crise du Covid-19 s’est traduite par une relance sans précédent de la part des banques centrales et des gouvernements, ayant fait gonfler la masse monétaire en circulation. Dans cet environnement favorable au retour de l’inflation, la crise énergétique liée au conflit russo-ukrainien a servi de catalyseur, tout comme le choc pétrolier de 1973, générant momentanément une inflation d’environ 10% sur 12 mois glissants, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe.
La comparaison entre les deux époques reste limitée : la mondialisation, la digitalisation ou encore l’immédiateté des échanges sont autant d’éléments qui ont fait évoluer l’économie en profondeur au cours des dernières décennies, en contribuant notamment au tassement de l’inflation. Nul doute que ces facteurs continuent de jouer aujourd’hui un puissant rôle « désinflationniste ». On notera cependant que la mondialisation a plutôt tendance à connaître un retour en arrière depuis quelques années. Surtout, un nouveau défi apparaît désormais avec l’épuisement à venir de certaines ressources naturelles, auquel s’ajoute le choix raisonné d’opter pour des sources d’énergie plus durables mais aussi plus onéreuses, constituant un nouveau facteur inflationniste de long terme.
Le risque d’une « fausse sortie » de l’inflation
À court terme, les perspectives d’inflation restent clairement orientées à la baisse grâce à la modération des prix de l’énergie. Les prix du gaz sont revenus autour de 40 euros/MWh en mars-avril sur le marché européen, contre plus de 300 euros/MWh l’été dernier. De même, les prix du pétrole sont revenus autour de 70-80 dollars/baril, contre plus de 100 dollars il y a un an.
Au point d’évacuer le sujet de l’inflation en 2023 ? Rien n’est moins sûr. Car bien que l’inflation brute soit vouée à redescendre cette année, l’inflation sous-jacente (hors énergie et produits frais) reste quant à elle élevée. En zone euro, elle continue même de croître, ayant atteint 5,7% en mars, tandis qu’aux Etats-Unis, elle se situait à 5,6% à la même date. Dans un contexte toujours marqué par le fort dynamisme du marché de l’emploi, le maintien de l’inflation sous-jacente à un niveau élevé fait donc partie des scénarios à envisager.
À ce sujet, on notera qu’après un premier pic en 1973-1974, l’inflation avait également connu un recul au cours des années suivantes dans les pays occidentaux, tout en restant sur un plateau élevé. La vague inflationniste n’était pas terminée : le second choc pétrolier de 1979 avait ramené l’inflation à ses plus hauts niveaux, avant la désescalade des années 1980. Bien que l’histoire ne se répète jamais, il reste utile de conserver cet exemple à l’esprit.
Pour les banques centrales, le défi de la juste mesure
Pour les banques centrales, l’équation n’est pas simple à résoudre, car si cette situation les pousse naturellement à durcir leur politique monétaire pour éviter la surchauffe, les craintes de mars 2023 relatives au secteur bancaire les incitent désormais à prendre davantage en compte les conséquences négatives d’une remontée des taux trop brutale.
Dans les années 1970, l’ampleur des mouvements de taux n’était pas le problème prioritaire. Entre février 1972 et juillet 1974, la Fed avait opté pour un puissant durcissement monétaire, faisant passer son taux directeur de 3,3% à 12,9%. Face à la récession, la banque centrale américaine avait ensuite assoupli sa politique monétaire en revenant progressivement vers un taux à 4,6% en 1977. Le combat contre l’inflation avait ensuite repris de plus belle, avec un taux directeur ayant atteint jusqu’à 19% en 1981, bien que l’inflation n’ait quant à elle pas dépassé le seuil de 15%.
Nul doute que les taux de la Fed ne rejoindront pas de tels niveaux dans le cycle actuel. Pour autant, il reste probable que la lutte contre l’inflation reste une priorité au cours des prochains mois, surtout si les craintes relatives au système bancaire s’avèrent passagères. N’oublions pas que la mission principale des banques centrales reste d’assurer la stabilité des prix.
Une récession inéluctable ?
Soulignons enfin que les deux principaux pics inflationnistes de 1973-1974 et 1979-1980 avaient été suivis d’une récession, notamment aux Etats-Unis (en France, seul le premier choc pétrolier avait provoqué une récession en 1974). De la même manière, divers signaux pointent vers un scénario de récession dès 2023 au sein des grandes économies occidentales, notamment depuis la publication, en avril, de données traduisant une légère dégradation du marché de l’emploi américain. La croissance des pays occidentaux risque également de se tasser à mesure que les effets de la hausse des taux se feront ressentir dans l’économie. Les émetteurs les plus endettés voient leur risque de défaut augmenter dans ces conditions, au risque d’impacter à leur tour le marché du travail.
En somme, malgré une profonde évolution des économies au cours des cinquante dernières années, l’histoire montre que les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets. Ce qui renforce notre vigilance dans nos choix d’investissements.
* * *
Voir aussi : https://latribune.lazardfreresgestion.fr/patrimoine-lettre-de-la-gestion-privee-2eme-trimestre-2023/
L’opinion exprimée ci-dessus est datée du 24 avril 2023 et est susceptible de changer.
Ce document n’a pas de valeur pré-contractuelle ou contractuelle. Il est remis à son destinataire à titre d’information. Les analyses et/ou descriptions contenues dans ce document ne sauraient être interprétées comme des conseils ou recommandations de la part de Lazard Frères Gestion SAS. Ce document ne constitue ni une recommandation d’achat ou de vente, ni une incitation à l’investissement. Ce document est la propriété intellectuelle de Lazard Frères Gestion SAS. LAZARD FRERES GESTION – S.A.S au capital de 14.487.500€ – 352 213 599 RCS Paris 25, RUE DE COURCELLES – 75008 PARIS.