La dette publique, on s’en moque ?
Par François de Saint-Pierre, associé-gérant de Lazard Frères Gestion, et Julien-Pierre Nouen, directeur des études économiques
La crise du Covid-19 a fait croître la dette publique française à des niveaux records. Tandis que certains alertent sur la gravité d’un endettement insoutenable, d’autres balaient le problème d’un revers de main, arguant d’un soutien infini de la BCE ou d’un éventuel non-remboursement de la « dette Covid ». Qui croire ? La dette est-elle un non-sujet ?
Fin mai, le gouvernement prévenait que le déficit public français devrait atteindre 220 milliards d’euros en 2021, dépassant ainsi son niveau de l’année 2020 (182 milliards d’euros). La dette publique française (plus de 2.600 milliards d’euros) pourrait ainsi bientôt atteindre 125 à 130% du PIB. Historiquement, seules les périodes de sortie de guerre avaient amené le pays à un tel niveau d’endettement relatif.
Un problème ancien
A l’époque, le problème avait pu être réglé par la reprise économique liée à la reconstruction du pays, éventuellement associée à une importante inflation permettant de dévaluer la dette. Aucun phénomène d’une telle ampleur ne devrait se produire cette fois-ci. Par ailleurs, aucune mesure ne semble envisagée pour réduire les déficits à l’origine de cet endettement et rejoindre l’équilibre budgétaire faisant défaut à la France depuis 1980.
Notre pays n’est certes pas le seul à voir ses finances malmenées par la crise. Pour autant, certains de nos voisins européens sont mieux disposés que nous à contenir ce problème. L’Allemagne devrait par exemple retrouver un ratio d’endettement de 60% du PIB d’ici 2030 (niveau d’avant-crise), tandis que la France devrait, à cette même date, voir sa dette dépasser 130% de son PIB, loin des 100% d’avant-crise.
Est-ce grave ? À en croire les marchés financiers, la réponse est non. La France emprunte toujours à des taux extrêmement bas, parfois négatifs. Le coût de la dette, c’est-à-dire les intérêts versés à ses créanciers, baissent désormais chaque année (moins de 30 milliards en 2020, contre plus de 50 milliards en 2012) malgré une dette publique de plus en plus volumineuse. Ce miracle est rendu possible par le soutien de la BCE, qui a fixé les taux courts à des niveaux négatifs depuis septembre 2014, et rachète depuis 2015 une partie des emprunts de la France dans le cadre de son plan de « quantitative easing ». Cette politique permet de diminuer drastiquement les taux d’emprunt français sur toutes les échéances. Sans cela, leurs niveaux seraient bien plus élevés.
De mauvaises solutions
Une banque centrale ayant un pouvoir illimité de création monétaire, son soutien peut, en théorie, se poursuivre à l’infini. Nul ne sait cependant si la BCE continuera à se montrer aussi généreuse à l’avenir. Son objectif de pilotage de l’inflation pourrait en effet l’obliger à réduire ses achats de titres et remonter ses taux. Parier sur un soutien infini de la BCE, c’est donc sans doute négliger l’évolution du cycle économique qui l’amènera tôt ou tard à ajuster sa politique monétaire.
Notons également qu’une hausse des taux aurait un impact certes progressif, mais très coûteux à long terme. Les simulations de la commission Arthuis montrent qu’un nouveau choc, même modéré, suffirait à mettre la France sur une trajectoire inquiétante. Il suffirait d’une faible hausse des taux pour que les intérêts de la dette deviennent le premier poste de dépenses publiques à horizon 10 ans.
Faut-il, alors, envisager qu’une partie de la dette soit effacée ? Qui dit dette, dit prêteur. Effacer une dette, c’est faire défaut à son prêteur. La France n’a pas connu ce scénario depuis 1797. De nos jours, une part importante de la dette publique est détenue par les Français eux-mêmes, notamment via leurs contrats d’assurance-vie investis en fonds en euros. Faire défaut, ce serait donc faire payer les épargnants, qui ne resteraient pas sans réagir. Quant aux créanciers étrangers, qui détiennent plus de 50% de cette dette, leur faire défaut aurait des conséquences en termes de stabilité financière et remettrait en cause le financement de notre Etat-providence.
Que faire ?
Face à ce constat, la première solution envisageable est de stabiliser notre endettement public. De nombreux États d’Europe du Nord et d’Europe centrale y parviennent tout en bénéficiant de niveaux de vie souvent supérieurs au nôtre. La solution ne réside pas dans la hausse des impôts : la France est déjà, selon les classements, le premier ou le second pays d’Europe en matière de pression fiscale. Quant aux dépenses, celles-ci ne sont pas dues à des frais régaliens pléthoriques ou à de forts investissements publics, mais principalement à la hausse tendancielle du coût des retraites et du système de santé. Au regard de leur niveau et de leur efficience, nos dépenses publiques mériteraient sans doute d’être revues.
La seconde solution qui émerge est d’augmenter le potentiel de croissance du pays. Pour ce faire, il est nécessaire d’augmenter la quantité de travail produite. Rapporté à la population totale, le nombre d’heures travaillées par personne en une année est en effet de 635 en France, contre 752 pour la moyenne de l’Union européenne. Face aux autres pays de l’Union européenne, les Français entrent tard dans la vie active, notamment par défaut de formations adaptées, et partent tôt en retraite. Les 25-54 ans, sur qui repose principalement le financement de nos dépenses publiques, se distinguent par une productivité élevée, mais en-dehors de cette classe d’âge, la quantité de travail reste anormalement faible, altérant notre compétitivité globale.
Ces deux solutions peuvent s’avérer complémentaires. En somme, la révision de nos dépenses publiques mériterait de s’accompagner d’une politique d’augmentation des heures travaillées.
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Voir aussi : https://latribune.lazardfreresgestion.fr/patrimoine-lettre-de-la-gestion-privee-q3-2021/
L’opinion exprimée ci-dessus est datée du 10 juin 2021 et est susceptible de changer.
Article rédigé en date du 10 juin 2021. Sources des données : BCE, OCDE, FMI, AMECO Database (Commission européenne), INSEE, DG Trésor, rapport commission Arthuis, Bloomberg.
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