Une négociation implique toujours un jeu de rôle et, derrière les postures, il faut revenir aux objectifs fondamentaux de chaque acteur. Donald Trump veut être réélu en 2020. Pour cela, il veut pouvoir s’appuyer sur une économie solide et sur son image de « dealmaker » en remportant un accord commercial avec la Chine présenté comme plus favorable. Mais son art du deal semble se résumer à l’exercice d’une pression croissante sur ceux dont il veut obtenir quelque chose. Dans le cas actuel, il tente d’obtenir les deux choses par le même moyen.
Il n’est pas anodin que l’annonce d’une augmentation effective le 1er septembre des droits de douane à 10% sur les 300 Mds de produits chinois pas encore visés, alors que les États-Unis et la Chine avaient négocié une trêve au sommet du G20 de fin juin, intervienne le lendemain de la réunion de la Fed1. Si Jay Powell a baissé les taux de 25 points de base comme attendu, son discours a clairement laissé entendre qu’il ne fallait pas en attendre beaucoup plus, car il ne s’agit dans l’esprit de la Fed que d’un ajustement de milieu de cycle. Très insuffisant aux yeux de Donald Trump, qui a donc choisi d’attiser le principal risque aux yeux de la Fed (les développements globaux) pour la pousser à baisser davantage ses taux. Le fait que Peter Navarro, le directeur du conseil national du commerce, sorte de ses attributions pour réclamer une baisse de 75 ou 100 points de base d’ici la fin de l’année est éloquent.
La Chine a réagi à cette annonce durant le week-end en suspendant ses achats de soja américain et en laissant le yuan passer en dessous de 7 pour 1 dollar, un niveau considéré comme symbolique. Ceci a causé une nouvelle séance de brutale hausse de l’aversion au risque sur les marchés financiers lundi. Les États-Unis ont alors déclaré officiellement que la Chine manipulait sa devise, donnant l’impression d’une nouvelle escalade. La réalité est en fait plus mesurée. L’attribution du statut de manipulateur de devise à la Chine n’a pas d’autres conséquences que d’amener les États-Unis à des négociations bilatérales et à une consultation avec le FMI2, qui considère qu’aujourd’hui la devise chinoise est globalement en ligne avec ses fondamentaux. Par ailleurs, la banque centrale chinoise a établi un fixing plus fort qu’attendu le 6 août. Il s’agissait donc davantage d’une opération d’intimidation. La Chine n’a en effet aucune envie de voir sa devise baisser fortement, ce qui pourrait à nouveau générer une forte pression à la sortie des capitaux, ce que les autorités ne souhaitent pas.
Pour l’instant, les négociations ne sont pas suspendues. Les délégués chinois sont toujours attendus à Washington en septembre, mais il est certain que l’action de Donald Trump, qui ne semble pas s’être concerté avec ses conseillers, a pris les Chinois à rebrousse-poil. Il n’est pas question pour eux de donner l’impression de négocier en position de faiblesse. Les Chinois semblent donc se préparer à un conflit prolongé, et sont prêts à endurer une longue opposition. Néanmoins, les politiques de soutien de la demande, notamment via l’investissement en infrastructures, risquent de renforcer les déséquilibres macro-financiers de la Chine. Un accord reste une issue préférable pour l’économie chinoise. Côté américain, la hausse de l’incertitude n’a pour l’instant pas eu un impact trop fort sur l’économie, et cela entretient la confiance de Donald Trump dans sa stratégie. Si l’incertitude est visible dans les enquêtes ISM3 et PMI4, elle ne semble pas encore l’être dans les commandes de biens d’investissement par exemple. De même, les inscriptions hebdomadaires au chômage sont au plus bas. Mais les 300 Mds de produits touchés par cette nouvelle salve sont davantage des biens de consommation, ce qui signifie un impact plus direct sur les consommateurs. Par ailleurs, la dégradation des conditions financières, suite à cette annonce, rendra le lien entre la guerre commerciale et une éventuelle faiblesse économique beaucoup plus évident, rendant plus difficile pour Donald Trump de trouver un bouc-émissaire, surtout si celui qui était tout désigné a commencé à baisser ses taux. Poursuivre l’escalade risque donc d’obérer ses chances de réélection.
Reste donc à trouver une voie de désescalade. Cela passera sans doute par une nouvelle rencontre Xi-Trump, qui pour ces deux amateurs de la politique des grands hommes sera sans doute la meilleure manière de sortir par le haut, ceux-ci pouvant s’attribuer pleinement la réussite d’un accord éventuel.
Pour ce qui est de la réaction des marchés, il faut remonter à la dégradation de la note des États-Unis par S&P5 dans un contexte de crise de la zone euro en 2011, ou à la crise de 2008-2009, pour observer une baisse des taux longs américains de plus de 30 points de base en trois jours. Les anticipations de baisse des taux courts ont évolué de la même ampleur, ce qui montre bien que la lecture que les marchés ont fait de ce tweet est essentiellement sous l’angle de la politique monétaire. Ces attentes nous semblent encore plus excessives qu’elles ne l’étaient. En l’absence de signes tangibles d’une entrée en récession, il est peu probable que la Fed aille au-delà d’une ou deux baisses de taux supplémentaires et encore, cela dépendra clairement de l’évolution des données économiques et financières. James Bullard, le patron de la Fed de Saint-Louis, au positionnement pourtant très colombe, n’a pas dit autre chose dans une interview datée du 6 août.
Si l’on ne peut exclure une poursuite de la volatilité à court terme, il nous semble sans doute excessif de voir dans l’épisode récent un retournement durable des actifs risqués.
Glossaire :
1 Fed : banque centrale américaine.
2 FMI : Fonds monétaire international. Institution chargée de promouvoir la coopération monétaire internationale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges internationaux, contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité économique et faire reculer la pauvreté.
3 ISM : publié chaque mois par l’Institute for Supply Management, cet indice est séparé en deux grandes familles : l’ISM manufacturier, reflétant la santé du secteur aux USA et l’ISM services, plus spécifique aux activités tertiaires.
4 PMI : Purchasing Managers Index. Les indices PMI sont des indicateurs de confiance qui synthétisent les résultats des enquêtes menées auprès des directeurs d’achats des entreprises. Une valeur supérieure à 50 indique un sentiment positif dans le secteur concerné (manufacturier ou service).
5 S&P : Standard & Poor’s est une agence de notation américaine, classant les entreprises selon leur risque de défaut sur une échelle allant de AAA pour les moins risquées à D pour les plus spéculatives.
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L’opinion exprimée ci-dessus est datée du 6 août 2019 et est susceptible de changer. Données les plus récentes à la date de publication.
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