Article publié le 21 octobre 2019, mis à jour le 12 mai 2023
ISR, RSE, ESG, finance éthique ou durable, investissement d’impact. Autant d’expressions qui annoncent de grands changements dans la manière dont les entreprises, en général, et les gestionnaires d’actifs, en particulier, envisagent leur mission depuis les deux dernières décennies. Sous la pression de mouvements citoyens et des études scientifiques alarmantes, le métier d’investisseur évolue et devient plus complexe. Aux demandes de performance financière s’ajoutent de nouvelles considérations extra-financières auxquelles les investisseurs et les clients privés sont de plus en plus attentifs.
Quelles approches les sociétés de gestion développent-elles pour satisfaire à cet accroissement d’exigence en matière environnementale, sociale et de gouvernance ? Comment peuvent-elles jouer un rôle moteur dans la transition écologique et la réduction des risques sociaux et environnementaux ? N’est-ce pas dépasser leur rôle d’allocation des ressources économiques aux secteurs les plus prometteurs financièrement ? Quel rôle les instances européennes jouent-elles dans le développement de la finance durable et de l’investissement responsable ?
Concilier performance financière et extra-financière
Les objectifs financiers et extra-financiers ont longtemps été considérés comme antinomiques ou exclusifs les uns des autres. En effet, la recherche de profit va souvent de pair avec la volonté de réduire les coûts de production pour dégager les marges les plus importantes.
Pourtant, la prise de conscience d’enjeux sociaux et de gouvernance, à la faveur de crises fortement médiatisées comme l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh, ont mis en exergue l’importance pour les consommateurs d’une réaction à certaines conditions de travail particulièrement dégradées dans plusieurs secteurs d’activité. L’habillement, le bâtiment et l’extraction de matières premières ont, les premiers, mené de profondes transformations pour redorer leur image auprès du public et rassurer les investisseurs sur les risques dits « réputationnels » liés à leur financement.
Des préoccupations anciennes au défi climatique actuel
L’incroyable diminution des coûts de transport a rendu possible l’émergence d’un « village global [1] » au sein duquel les entreprises optimisent les chaînes de valeur à l’échelle de la planète et les biens circulent à flux tendu sur mer, sur terre et dans les airs. Les objets de notre quotidien ont ainsi parcouru plusieurs milliers de kilomètres avant leur mise en vente. La campagne « Made in the World », placée sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), résume bien cette interconnexion croissante des processus de production et son caractère omniprésent.
Toutefois, outre la volonté déjà ancienne de limiter les rejets polluants, les décisions plus récentes de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et de préserver la biodiversité montrent bien que l’intérêt des citoyens et de leurs représentants pour les questions environnementales ne fait que s’accroître. La réponse aux défis climatiques et écologiques suppose une coordination d’acteurs aux intérêts parfois éloignés. C’est certainement le principal obstacle à surmonter pour les entreprises et les dirigeants qui souhaitent s’impliquer dans ces combats.
Source : ONU
Un engagement croissant des entreprises et des investisseurs
Tout le monde s’accorde pour appeler de ses vœux une accélération de la capacité d’innovation dans les secteurs énergétiques, des transports et de l’alimentation afin de rendre leurs activités plus compatibles avec les objectifs fixés lors des conférences climatiques et, en tout premier lieu, par l’Accord de Paris de 2015. Au-delà du simple fait d’écarter un risque pour son image et sa réputation, les entreprises ont de plus en plus recours à la finance verte pour concilier performance financière et extra-financière en prouvant la rentabilité à moyen et long terme de solutions pour transformer les processus de production vers une économie bas-carbone.
La prise en considération de problématiques telles que l’égalité homme-femme constitue un outil puissant de mobilisation interne et externe. La mise en valeur de comportements « vertueux et inclusifs » en matière de diversité constitue, par exemple, un des éléments distinctifs de l’image de marque développée par plusieurs entreprises pour attirer les talents les plus compétents et les plus créatifs de leur domaine.
Définir les critères ESG
La prise en compte des « risques » ou, plus positivement, de « critères » environnementaux, sociaux et de gouvernance, souvent désignés sous l’acronyme ESG, constitue une première réponse aux problèmes décrits précédemment. Dans le monde de la gestion d’actifs, comment incorporer des exigences qualitatives à une analyse financière fondée sur des paramètres quantitatifs ?
Vers une prise en compte croissante des critères sociaux et environnementaux
A l’inverse, la définition de critères dans les domaines sociaux et de l’environnement a tout d’abord largement été laissée aux entreprises, sur une base volontaire. Ainsi, certaines agences de notation se sont spécialisées dans l’élaboration « d’indices éthiques » destinés à guider les sociétés d’investissement dans l’élaboration de fonds relevant de l’Investissement socialement responsable ou ISR.
La dimension sociale recouvre les questions de conditions de travail, de sécurité, d’égalité, de diversité et de valorisation du capital humain. Elle donne lieu à la prise en compte de nombreux indicateurs comme le taux de féminisation du management ou du Conseil d’administration, le turn-over, l’accès à la formation professionnelle ou le nombre de promotions internes.
En matière d’environnement, les indicateurs sont pléthore. Parmi les mesures les plus utilisées, les émissions carbone d’un portefeuille sont particulièrement ardues à quantifier. Si un fonds contient, par exemple, des valeurs associées à la production automobile, faut-il imputer les émissions aux utilisateurs des véhicules ou à leurs constructeurs ? Certaines entreprises adhèrent à des associations volontaires qui imposent de déclarer différents périmètres d’émission (scope 1, 2 ou 3) en fonction des productions de gaz à effets de serre (GES) en amont et en aval de leurs activités. De plus en plus d’agences offrent ainsi leurs services pour compiler les différentes données déclaratives et quantifier les émissions carbone d’un portefeuille donné.
Investissement durable et investissement socialement responsable : définitions
L’investissement durable est un investissement dans une activité économique qui contribue à un objectif environnemental, mesuré par exemple au moyen d’indicateurs clés tels que l’utilisation efficace des ressources naturelles (énergie, énergies renouvelables, matières premières, eau, etc.), la production de déchets et d’émissions de gaz à effet de serre ou encore les impacts sur la biodiversité et l’économie circulaire. L’investissement durable peut également contribuer à un objectif social (lutte contre les inégalités, promotion de la cohésion sociale, du capital humain, etc.). Ces investissements dits durables ne doivent causer de préjudice important à aucun de ces objectifs. Aussi les sociétés dans lesquelles les investissements sont réalisés sont tenues d’appliquer les pratiques de bonne gouvernance, en particulier en ce qui concerne les structures de gestion saines, les relations avec le personnel, la rémunération des salariés compétents et le respect des obligations fiscales[1].
Une fois cet ensemble d’indicateurs pris en compte, les sociétés de gestion construisent des portefeuilles dits « durables ». Ces derniers contiennent ainsi une proportion significative d’entreprises dont la notation ESG dépasse un seuil déterminé. En France, le ministère de l’Economie et des Finances décerne un label Investissement Socialement Responsable (ISR), lequel certifie le respect de ces engagements et cherche à inciter les épargnants à investir dans des produits de l’épargne durable réellement engagés.
[1] Définition de l’investissement durable selon le Règlement SFDR
Vers un renforcement du cadre réglementaire européen applicable à la finance durable
Pour promouvoir l’investissement durable et renforcer la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, la Commission européenne s’est engagée à développer et à élargir la panoplie des instruments de finance durable pour faciliter l’accès aux financements de transition, avec pour objectif de rendre le système économique et financier plus résilient face aux risques en matière de durabilité.
Au cours des dix dernières années, les initiatives réglementaires n’ont cessé de se multiplier en Europe. En 2018, la Commission européenne a lancé la taxonomie verte européenne afin de développer l’investissement durable à travers la mise en place d’un système de classification des activités économiques considérées comme durables sur le plan environnemental. Pour qu’une activité puisse bénéficier du « label vert » au sens de la taxonomie, celle-ci doit “contribuer substantiellement” à un ou plusieurs des six objectifs suivants : atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique ; utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines ; transition vers une économie circulaire ; contrôle de la pollution ; protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Cette réglementation concerne l’ensemble des acteurs économiques à commencer par les entreprises qui sont contraintes de déclarer la proportion de leur chiffre d’affaires, de leurs dépenses et de leurs investissements consacrés à des activités dites « durables ». S’agissant des Etats-membres, ils sont tenus de veiller au respect de la taxonomie à travers la mise en place de mécanismes de contrôle à l’échelle nationale.
En 2021, le niveau d’exigence a été relevé avec l’entrée en vigueur du Règlement SFDR (« Sustainable Finance Disclosure Regulation ») qui impose de nouvelles normes aux acteurs financiers européens et internationaux qui commercialisent des produits financiers en Europe. Ils sont désormais contraints de prendre en compte l’impact des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sur les entreprises dans lesquelles ils investissent et d’analyser les répercussions négatives des émetteurs sur l’environnement et la société.
Ce règlement vise à promouvoir l’investissement responsable tout en luttant contre le risque de « greenwashing », notamment grâce à une catégorisation des produits financiers en fonction de leur degré de durabilité :
- Les placements dits « Article 9 » poursuivent un objectif d’investissement durable ;
- Les placements dits « Article 8 » promeuvent des caractéristiques sociales et/ou environnementales pour autant que les sociétés dans lesquelles les investissements sont réalisés appliquent des pratiques de bonne gouvernance
- Les placements dits « Article 6 » n’ont pas d’objectif d’investissement durable et ne déclarent pas prendre en compte les critères ESG.
En avril 2022, la Commission européenne a annoncé l’adoption de nouvelles normes techniques de réglementation (« Regulatory Technical Standards »). Cette deuxième strate du règlement SFDR, qui est entrée en vigueur en janvier 2023, vise à clarifier les définitions des produits « Article 8 » et « Article 9 », et apporter des précisions sur la méthodologie à utiliser au moment de la diffusion des informations relatives à la durabilité. L’objectif étant de permettre aux gérants d’actifs de produire les informations et les évaluations chiffrées requises par le règlement SFDR.
Ces évolutions réglementaires contribuent à créer un véritable standard commun en vue d’harmoniser et de renforcer la transparence des produits durables à travers la mise en place de normes et de principes que chaque société de gestion est tenue de décliner.
Les mois à venir permettront d’évaluer la fiabilité des données d’alignement à la taxonomie verte européenne publiées par les entreprises non-financières avant leur intégration dans les process d’investissement des différentes sociétés de gestion.
Si vous souhaitez en savoir plus sur notre approche de l’investissement responsable, nous vous invitons à consulter le lien suivant : https://www.lazardfreresgestion.fr/FR/ESG-ISR/Notre-approche_147.html
[1] Marshal McLuhan (1967)
[2] L’art L.2242-8 du code du travail prévoit des pénalités financières en cas d’absence d’accord relatif à l’égalité professionnelles entre les femmes et les hommes
[3] Voir, par exemple, la politique d’engagement de Lazard Frères Gestion
[4] Voir, par exemple, la directive2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux. On peut aussi citer le règlement 2015/847 sur les informations accompagnant les transferts de fonds.
[5] Directive UE du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations non financières, transposée par l’ordonnance 2017-1180 du 19 juillet 2017 et le décret 2017-1265 du 9 août 2017