Environnement de marché
Le mois de mars a été marqué par la fin de la politique de taux négatifs de la Banque du Japon, un risque contenu de mauvaise surprise sur le front de l’inflation aux Etats-Unis et en zone euro, et un accueil toujours positif des nouvelles émissions de la part des investisseurs. Les taux se sont légèrement détendus avec une surperformance de la zone euro : le taux allemand à 10 ans a baissé de 11 bps à 2,30% alors que le taux à 10 ans américain ne s’est détendu que de 5 bps à 4,20%. Passé inaperçu, le rebond du baril de Brent de près de 8% sur le mois n’aura eu que très peu d’impacts sur les anticipations d’inflation qui restent globalement stables de part et d’autre de l’Atlantique.
La Banque du Japon a relevé ses taux pour la première fois depuis 17 ans et met un terme à sa politique de taux négatifs. Les taux sont à présent encadrés dans la fourchette [0 – 0,10%]. La banque centrale a également abandonné le contrôle de la courbe des taux (Yield Curve Control) mais continuera d’acheter des obligations d’Etat, notamment pour lutter contre une hausse trop rapide des taux. Enfin, la banque a décidé de mettre un terme à ses achats d’actifs risqués (ETF). Cette intervention était bien intégrée par les marchés, les taux à deux ans et dix ans se tendant de seulement 1 bp et 2 bps à respectivement 0,19% et 0,73%.
Aux Etats-Unis, la Réserve Fédérale a maintenu ses taux inchangés dans la fourchette [5,25% – 5,50%]. À travers la mise à jour de ses « dots », la Fed maintient trois baisses pour 2024 mais ses prévisions pour 2025 affichent désormais trois baisses au lieu de quatre lors de la réunion de décembre. J. Powell a de nouveau réaffirmé que ses membres attendaient des preuves supplémentaires de convergence de l’inflation vers sa cible de 2%, mais qu’une première baisse de taux aurait bien lieu à un certain moment dans l’année. Alors que l’indice CPI de février, publié en hausse par rapport aux attentes, laissait craindre de mauvaises surprises sur le front de l’inflation, la publication en ligne de l’indice PCE de février à +0,3% a amoindri le risque de surprise négative pour la Fed.
En zone euro, à l’exception de l’Allemagne, les signaux envoyés par les données économiques ont été encourageants. La BCE a laissé ses taux inchangés, mais a révisé à la baisse ses prévisions d’inflation globale et sous-jacente pour les trois années à venir, incluant un retour à l’objectif de 2% dès 2025 pour l’inflation globale et en 2026 pour l’inflation sous-jacente. Les prévisions de croissance 2024 ont également été revues à la baisse à 0,6%, contre 0,8% auparavant. À travers l’abaissement des prévisions, la BCE signale pouvoir être en mesure de commencer à baisser ses taux. Une déclaration de C. Lagarde précisant que l’institution aurait « un tout petit peu plus » d’éléments en avril et « beaucoup plus » en juin suggère une première baisse à partir de juin. La BCE a par ailleurs signalé qu’elle abaisserait l’écart entre son taux directeur (actuellement à 4,50%) et son taux de dépôts (actuellement à 4%) de 15 points de base à partir de septembre 2024, alors que le taux de facilité de prêt marginal serait maintenu à un spread de 25 points de base contre le taux directeur.
Évolution des taux souverains / indices de crédit
- Spread to call, en points de base.
Source : Lazard Frères Gestion, au 29 mars 2024. Performances exprimées en devise non couverte du risque de change.
Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.
Crédit Corporate Investment Grade
Les marges de crédit se sont resserrées sur le mois de -8 bps pour les Senior et de -12 bps pour les hybrides, dans un contexte de détente sur les taux et de marché primaire soutenu. La combinaison des effets taux et crédit a permis au segment Corporate Investment Grade de générer une performance positive de +1,19% sur le mois.
L’intégralité des secteurs était au resserrement. L’immobilier continue de surperformer depuis le début de l’année. Les secteurs de la santé, des loisirs et des services étaient également bien orientés en mars. Les résultats sont restés en ligne avec les attentes dans l’ensemble. Dans le secteur de la logistique, les spreads de Maersk se sont écartés de 30 bps avant de se résorber après l’annonce de l’affrètement du navire qui est entré en collision avec le pont Francis Scott Key à Baltimore. Vodafone a annoncé la cession de ses activités en Italie pour 8 Mds€ ; avec la cession en Espagne, le groupe devrait recevoir 12 Mds€, ce qui lui permettra de réduire son levier. EDF a sous-performé après la découverte de fissures à la centrale de Blaye. De plus, l’Etat français a demandé à EDF d’utiliser les 2 réacteurs nucléaires de Civaux pour produire des matériaux irradiés, ensuite transférés au Commissariat à l’Energie Atomique pour la production de tritium, un isotope de l’hydrogène indispensable à la fabrication d’armes. Cette annonce a suscité des inquiétudes chez les investisseurs pour des raisons ESG. La courbe de Kering s’est écartée : le groupe a émis un avertissement concernant ses profits, anticipant une réduction d’environ 10% de son chiffre d’affaires au premier trimestre par rapport à l’année dernière, en raison des problèmes rencontrés par Gucci, dont les ventes pourraient diminuer de plus de 15%.
Moody’s a confirmé la notation Baa1 de Carrefour avec une perspective stable, soulignant la réussite de sa stratégie et l’amélioration de la génération de FCF en 2023. ABB a vu sa notation réhaussée par Moody’s de A3 à A2 grâce à l’amélioration continue de sa rentabilité et des métriques très solides. Fitch a confirmé la notation BBB+ de Stellantis et relevé la perspective à positive, en prévoyant des métriques financières solides entre 2024 et 2027. Fitch a parallèlement dégradé la notation d’Heimstaden Bostad de ‘BBB’ à ‘BBB-‘, avec une perspective négative, ce qui a pesé sur la courbe de l’émetteur. S&P confirme la notation A d’ADP avec une perspective négative, en lien avec la notation souveraine de la France. S&P a dégradé la note d’Elo de BBB-/négative à BB+/stable, faisant passer le groupe en catégorie high yield. L’agence s’attend à une dégradation du levier autour de 4x en 2024 (3,4x en 2023) suite à l’acquisition des magasins Casino et pénalise également les difficultés structurelles d’Auchan retail en France, malgré l’annonce d’une augmentation de capital de 300M€. Rolls Royce passe en catégorie investment grade après le rehaussement de sa note par S&P de BB+ à BBB- avec une perspective positive. Enfin, les obligations Cellnex se sont nettement appréciées après l’annonce de la cession de son unité irlandaise et le relèvement par S&P de sa note à BBB-/stable, ce qui porte sa notation composite à IG, conformément à son ambition.
Le marché primaire reste très actif avec plus de 40 Mds€ d’émissions. Les formats responsables ont représenté plus de 30% des volumes émis. Les multi-tranches étaient bien représentées et les émetteurs profitent du profil de courbe pour allonger sensiblement les maturités qui fixent en moyenne à 10 ans. La plus grosse opération a été Ab Inbev qui a émis une triple tranche (7, 13 et 20 ans) pour 4 Mds€. Sur les hybrides, Tennet a présenté une double tranche green NC5 et NC8 pour un total de 1,1 Md€ avec des rendements à 4,7% et 4,9% respectivement. Arkema et Orange sont également venus émettre sur le segment. Globalement, la demande a été importante, soutenue par des flux entrants sur la classe d’actifs, avec des carnets d’ordres sursouscrits en moyenne plus de 4x et des concessions limitées voire négatives.
Crédit Corporate High Yield
Le segment High Yield a enregistré une performance de +0,44% en mars grâce au portage, ainsi qu’à la détente des taux souverains (-11 bps sur le 5 ans allemand). Les primes de risque ont connu un léger écartement (+4 bps) avec une décompression des notations B par rapport aux BB. Sur le mois, les crédits BB ont affiché une nette surperformance par rapport aux notations CCC et, dans une moindre mesure, face aux crédits B. Dans ce contexte, le marché primaire a atteint un volume mensuel record avec 10,4 Mds€, ce qui en fait le mois le plus actif depuis novembre 2021. Seize sociétés ont profité des conditions favorables pour émettre à des fins de refinancement. Les facteurs techniques sont restés toujours bien orientés durant le mois, avec des flux entrants sur la classe d’actifs attirés par le niveau de portage, et un gisement qui est toujours en contraction.
Du côté des secteurs, seuls les télécommunications et les biens d’équipement affichent des performances négatives, affectés par le risque idiosyncratique de certains émetteurs. On peut citer Altice France/SFR qui, après avoir publié des prévisions 2024 plus faibles que prévues, a annoncé lors de la conférence sur ses résultats annuels que les actifs en cours de cession avaient été sortis du périmètre des détenteurs de dettes et qu’ils ne seraient réintégrés dans le groupe restreint que si les porteurs de dettes partageaient une partie du fardeau via des offres d’échange ou des offres publiques de dettes à des prix réduits. En effet, la société, qui a aujourd’hui un levier de 6,4x, vise en effet un levier de 4x. En conséquence, SFR a été dégradé à CCC+ par S&P avec perspective « developing » et à Caa2 par Moody’s avec perspective négative. Dans le secteur des emballages, Ardagh Group (packaging en verre, noté B) a engagé des conseillers afin de revoir son passif. Intrum (debt collector) a lui aussi engagé un conseiller afin de traiter son échéancier de dettes. Par la suite, la société a été dégradée par les 3 agences et placée sous surveillance négative (S&P à B, Fitch à B et Moody’s à B3). Grifols est pénalisé par les dégradations de ses notations chez S&P (surveillance négative) et Fitch, ce qui emmène les dettes non sécurisées dans la catégorie CCC+ chez S&P et B- chez Fitch. Ces dégradations reflètent une liquidité plus faible qu’anticipée et des risques d’exécution quant au refinancement des maturités 2025 en raison d’une génération de Free Cash Flow moins élevée que prévue, impactée par des coûts de restructuration et des capex de croissance. La société a réitéré son intention de refinancer les échéances 2025 au premier trimestre de cette année, en prenant en compte les produits de la cession de sa participation dans Shangai Raas. Par ailleurs, l’autorité espagnole des marchés financiers n’a pas identifié d’erreurs matérielles dans les rapports financiers de la société.
À l’opposé, parmi les meilleures performances, on retrouve le secteur de l’immobilier et notamment les sociétés traitant avec une forte décote (CPI , Heimstaden), qui ont continué leur redressement entamé en fin d’année. Le secteur de l’énergie a été porté par les cours du pétrole et une bonne dynamique dans l’industrie pétrolière. De plus, on note des résultats annuels solides et des perspectives 2024 favorables pour Var Energi et Vallourec. Les obligations de Vallourec ont également profité de l’accord conclu entre Apollo et Arcelor Mittal (BBB-), qui rachète environ 28% du capital de la société.
Côté news, Carlyle se prépare à entamer des négociations en vue d’acquérir une participation majoritaire dans la division maritime de Thyssenkrupp pour environ 1,5Mds€ (dettes comprises). La discussion entre Atos et Airbus concernant la cession de l’activité BDS (Big Data and Cybersecurity) a échoué. Kering serait désormais le premier acquéreur potentiel du groupe Marcolin dans une transaction qui pourrait valoriser l’opération à 1,3Mds€. Douglas a réalisé son entrée en bourse et refinancera toutes ses obligations (0,6% du gisement HY) par des loans.
Côté notations, le passage de Cellnex en catégorie IG, évoqué en page 2, a fait sortir le 2ème plus gros poids du gisement High Yield fin mars (2,5% de l’indice). IAG se rapproche de plus en plus de l’IG suite à son upgrade en perspective positive (Ba1) par Moody’s. Masmovil a été également vu sa notation s’améliorer à Ba3 (outlook positif) suite à la fusion avec Orange Spain. Au contraire, Chemours a été dégradé par S&P à BB- après le retard de la publication de ses résultats 2023. Dans le même temps, Moody’s a placé la société sous surveillance pour une révision à la baisse.
Dettes financières
La dette financière subordonnée a bien performé en mars, les spreads se resserrant de -12 bps (Banques Tier 2 IG) à -70 bps (AT1 en euros), et cela malgré un marché primaire chargé avec 41,7 milliards d’euros émis par les banques européennes, l’essentiel étant du côté des seniors (78% du montant total émis). Pour les dettes subordonnées, nous avons assisté à de nombreux refinancements, les émetteurs venant en parallèle avec une opération de rachat sur les obligations existantes pour faciliter le processus de réinvestissement. Malgré des primes sur les nouvelles émissions proches de zéro (parfois négatives), l’offre a été bien absorbée par le marché grâce au soutien des flux entrants dans les fonds de crédit. Nous pouvons souligner un marché plus actif sur le Restricted Tier 1 (les « AT1 » pour les assureurs), avec ASR et NN venant refinancer des obligations grandfathered. Pour les banques, Raiffeisen a dû reporter son émission d’AT1 en raison de problèmes potentiels liés à l’accord Strabag, qui devrait réduire la sensibilité de son capital à un départ précipité de Russie
La saison des résultats se termine avec des rapports d’assureurs et de petites banques, parmi lesquelles les résultats record des banques allemandes LBBW et Helaba ont apaisé les craintes sur le CRE allemand, et ceux de Deutsche Pfandbriefbank ont été bien accueillis. Les résultats étaient moins « historiques » pour les assureurs, mais ils restent solides et réguliers, les résultats techniques plus faibles de certaines compagnies P&C étant compensés par de forts rendements des investissements, et la solvabilité restant largement supérieure à l’objectif de gestion et souvent au-dessus de 200%.
La BCE a annoncé que les réserves obligatoires minimales (MRR) resteront à 1%, ce qui est une bonne nouvelle pour le revenu net d’intérêts des banques, car le MRR n’est pas rémunéré au taux des facilités de dépôt (4% actuellement) mais à 0%.
Nous avons eu beaucoup d’actions positives sur les notations en mars, avec Moody’s qui a relevé les notations de plusieurs Landesbanks allemandes, la notation des dépôts à long terme de Novo Banco à Baa1, et la notation de Co-Op Bank avec la Baseline Credit Assessment (BCA) à Ba1 avec une perspective positive. En Italie, S&P a attribué à BPER Banca une notation de crédit à long terme de BBB- avec une perspective positive, Fitch a relevé les notations de la dette senior de Banco BPM d’un cran (Senior Preferred à BBB) et Moody’s a relevé les notations des dépôts à long terme de Credem à Baa1. En Espagne, à la suite de la perspective positive sur la notation souveraine, Moody’s a relevé d’un cran les notations de Sabadell, Caixabank, Bankinter, Unicaja, Ibercaja. S&P a relevé la notation du Portugal à A- et a maintenu une perspective positive, et a donc révisé la perspective de BCP de stable à positive. Cependant, Moody’s a dégradé la notation à long terme d’Aareal Bank et la notation de la dette senior à Baa1, la perspective restant négative.
Les fusions et acquisitions semblent être à l’ordre du jour, Nationwide annonçant une offre de 3 milliards de livres sterling sur Virgin Money, confirmée par leurs conseils d’administration et devrait être effective au quatrième trimestre de cette année. L’assureur belge Ageas a fait deux offres pour la compagnie d’assurance automobile britannique Direct Line, mais les deux ont été rejetées par le conseil d’administration de Direct Line, et Ageas ne fera pas une troisième offre.
Perspectives
Environnement de marché
- L’économie américaine ne fléchit pas. Les données économiques publiées témoignent d’une résilience de l’activité et d’un marché du travail toujours dynamique. Les chiffres d’inflation du début d’année ont été plus forts que ceux de fin 2023, ce qui peut s’expliquer par des effets de saisonnalité, mais pose tout de même des questions sur la poursuite du processus de désinflation. Toutefois, le risque de nouvelle poussée de l’inflation semble contenu. L’éventualité d’un scénario de « no landing » persiste, mais celui-ci est déjà partiellement intégré par le marché, qui n’intègre plus qu’entre deux et trois baisses de taux de la Fed cette année. Le découplage de l’économie, notamment vis-à-vis de la zone euro, apparaît plus important dans ce contexte.
- En zone euro, même si quelques données publiées au cours du mois étaient encourageantes, la situation reste complexe. L’Allemagne continue d’envoyer des signaux peu rassurants, à l’image de la grande fragilité du secteur manufacturier et du repli des ventes au détail, qui suggère une fébrilité de la consommation. En France, le dérapage du déficit public appelle des efforts supplémentaires afin de rassurer les différentes agences de notation, ce qui pourrait coûter en termes de croissance. Le niveau des spreads actuels reste conciliant alors que le risque de déception est bien réel. La méfiance sur les spreads s’impose à court terme, même si ceux-ci pourraient bénéficier à moyen terme de baisses de taux de la BCE.
- Le mois de mars a amorcé une phase de basculement dans la rhétorique des principales banques centrales. La Réserve Fédérale a envoyé un signal de confiance dans la baisse de l’inflation lui permettant de baisser à trois reprises cette année, la BCE a « guidé » pour une première baisse en juin, la Banque d’Angleterre a même suggéré que les baisses anticipées étaient crédibles et la Banque Nationale Suisse a acté une baisse de 25 bps à 1,50% de son taux directeur.
- Sur le crédit, les flux restent toujours bien orientés, notamment sur le crédit High Yield. En termes de valorisation, le potentiel de resserrement des spreads de crédit apparaît limité. Néanmoins, la perspective de baisses de taux des banques centrales restera un facteur de soutien à la classe d’actifs.
- Dans ce contexte, nous privilégions le crédit offrant un portage attractif sur les maturités courtes à intermédiaires, notamment sur le haut rendement et les dettes subordonnées financières.
Positionnement
- Duration : Long US et Zone Euro via les parties courtes de courbe. Neutre à sous-pondération tactique sur les parties longues – Sous-pondération Japon 10Y.
- Crédit : Surpondération du haut rendement et des dettes subordonnées, neutre IG
- Maturité : Préférence pour les maturités courtes à intermédiaires
- Secteur : Banques, télécoms, santé, chimie.
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Rédaction du document achevée le 29 mars 2024.
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