Actualité Fiscale
Jusqu’à présent, pour requalifier une opération sur le fondement de l’abus de droit, l’administration devait démontrer soit que l’opération était fictive (cas d’une donation déguisée en vente) soit que l’opération constituait une fraude à la loi.
L’abus de droit par fraude à la loi impliquait que deux conditions soient simultanément remplies. Le contribuable devait avoir obtenu un avantage fiscal par une application littérale des textes à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et avoir agi dans un but exclusivement fiscal.
La loi de finances pour 2019 élargit la notion d’abus de droit par fraude à la loi aux opérations à but principalement fiscal.
En effet, le livre des procédures fiscales est complété par un article L64 A qui prévoit que « l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes (…) à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées ».
Avec l’ancienne définition de l’abus de droit, il était rare qu’un montage procurant un avantage fiscal constitue une fraude à la loi. Il relevait au contraire le plus souvent de la simple habileté fiscale.
Ainsi, le comité de l’abus de droit qui peut être saisi par le contribuable ou par l’administration en cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement de l’abus de droit n’était jusqu’à présent amené à examiner que quelques opérations chaque année. Par exemple, en 2017, le comité de l’abus de droit a examiné 43 affaires et a considéré qu’il y avait abus de droit dans 19 d’entre elles.
Qu’en sera-t-il avec la nouvelle définition ? Il est à craindre que les rectifications fondées sur ce nouvel abus de droit se multiplient. En effet, les opérations qui ont entre autres objectifs celui d’atténuer la charge fiscale sont nombreuses. Il reviendrait alors aux juridictions d’apprécier pour chaque opération le poids relatif des différents motifs ayant animé le contribuable et de déterminer si l’objectif fiscal était principal ou secondaire.
Ce n’est pas la première fois que le législateur tente d’élargir la notion d’abus de droit aux opérations à but principalement fiscal. En effet, une première tentative avait eu lieu à l’occasion du vote de la loi de finances pour 2014 mais avait été censurée par le Conseil constitutionnel.
A l’époque les sages avaient rappelé dans leur décision que l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi imposait au législateur « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre (…) le risque d’arbitraire sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ».
Ils avaient également rappelé que le législateur avait « l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment précis ».
Le Conseil constitutionnel avait en outre considéré qu’en élargissant l’abus de droit aux opérations aux motifs principalement fiscaux le texte conférait « une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale ».
Les sages avaient enfin relevé que la procédure de l’abus de droit était assortie d’une pénalité de 80% et qu’en conséquence le législateur ne pouvait sans méconnaître les principes constitutionnels élargir l’abus de droit aux opérations à motif principalement fiscal.
Cette fois le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi et n’a donc pas eu l’occasion de se prononcer, avant la promulgation de la loi, sur le caractère constitutionnel ou non de cet élargissement.
Il pourrait être amené à le faire dans l’avenir à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Rappelons en effet que toute partie à une instance peut soulever une QPC. On peut donc imaginer qu’un contribuable contre lequel aura été mis en œuvre la procédure d’abus de droit pour motif principalement fiscal introduise une QPC et qu’en conséquence le Conseil constitutionnel soit appelé à se prononcer sur le caractère constitutionnel ou non des dispositions de l’article L64 A du LPF issu de la loi de finances pour 2019.
Pour tenter de se prémunir contre une censure du Conseil constitutionnel le législateur n’a pas, contrairement à ce qu’il avait fait dans la loi de finances pour 2014, remplacé dans l’article L64 du LPF la notion de motif exclusivement fiscal par la notion de motif principalement fiscal. Il a choisi, au contraire, de créer à côté de l’article L64 qui vise l’abus de droit par fictivité ou à motif exclusivement fiscal un article L64 A qui vise l’abus de droit à motif principalement fiscal et de ne pas assortir ce second abus de droit des pénalités de 80%.
Il n’est pas certain que cette précaution suffira à ce que ce second abus de droit ne soit pas considéré comme contraire à la constitution. En effet, cette nouvelle procédure ne semble pas prémunir les contribuables contre le risque d’arbitraire et laisse une marge d’appréciation importante à l’administration fiscale.
Malheureusement, il pourrait s’écouler plusieurs années avant que le Conseil constitutionnel soit saisi d’une QPC sur ce sujet.
Dans l’intervalle, espérons que l’administration fiscale publiera ses commentaires sur ce nouvel abus de droit ainsi qu’une liste d’opérations qui selon elle sont abusives parce que motivées par un but principalement fiscal et celles qui, toujours selon elle, ne le sont pas.
A cet égard, il serait souhaitable que ces précisions soient apportées avant le 31 décembre 2019. En effet, la loi a prévu que le second abus de droit ne pourrait être utilisé par l’administration qu’à compter du 1er janvier 2021 et ne pourrait s’appliquer qu’aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2020.
Enfin, compte tenu de cette entrée en vigueur décalée, soulignons qu’il est possible jusqu’au 31 décembre 2019 de réaliser des opérations à but principalement fiscal sans craindre la sanction de l’abus de droit.
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