Depuis cet été, le marché du travail américain présente des signes de ralentissement, avec une nette décélération des créations d’emplois. Cependant, le taux de chômage reste faible et ne montre pas encore les signes d’une fin de cycle économique. Confrontée à des pressions inflationnistes pas totalement éteintes et potentiellement ravivées par les droits de douane, la Fed a néanmoins baissé son taux directeur en septembre pour gérer les risques qui émergent sur l’emploi. En Europe, la croissance repose essentiellement sur un moteur domestique qui devrait être aidé par l’investissement public et les baisses de taux de la BCE. Le gouvernement chinois continue de piloter son économie face aux défis structurels de la crise immobilière et des surcapacités industrielles. Portées par l’espoir d’une croissance résiliente et par la baisse des taux, les actions américaines atteignent à nouveau des niveaux de valorisation extrêmes. Les marchés européens et japonais nous semblent plus attractifs. Dans l’univers obligataire, le crédit corporate nous semble également offrir des perspectives de performance intéressantes.
Nos perspectives économiques
États-Unis : Ralentissement sans basculement en récession
La bonne nouvelle est que l’incertitude liée aux droits de douane a clairement reculé depuis son paroxysme du printemps dernier, même si celle-ci demeure sur un niveau historiquement élevé (graphique 1). Le soulagement se voit dans les enquêtes auprès des entreprises, qui s’étaient brutalement affaissées au printemps, et qui ont rebondi durant l’été.
La mauvaise nouvelle est que le marché du travail envoie des signaux plus inquiétants. Les créations d’emplois ont en effet nettement ralenti sur les derniers mois, s’approchant de la stagnation (graphique 2). Historiquement, un tel ralentissement ne s’est jamais produit hors récessions.
Mais la lutte contre l’immigration mise en place par la nouvelle administration semble avoir joué dans la situation actuelle. À court terme, cela évite une forte hausse du taux de chômage, car l’offre de travail et la demande de travail ralentissent en tandem. Toutefois, à long terme, cela réduit le potentiel de croissance de l’économie américaine.
Par ailleurs, si le choc d’incertitude est passé, le choc fiscal des droits de douane, lui, est encore en cours. La rapidité des annonces et les multiples allers-retours n’ont pas encore permis aux douanes américaines de s’ajuster à ce nouveau cadre. Les droits de douane effectivement prélevés vont donc sans doute encore progresser dans les prochains mois.
L’impact sur les prix est encore modéré, l’inflation hors alimentation et énergie se stabilisant légèrement en-dessous de 3,0%, soit au-dessus de la zone de confort de la banque centrale qui est plus proche de 2,0%. Néanmoins, les prix des biens commencent à réaccélérer et les enquêtes auprès des entreprises laissent entendre une nette accélération de l’inflation sur les prochains mois (graphique 3).
L’équation est donc particulièrement complexe pour la Réserve Fédérale, qui doit trouver un équilibre entre les signes d’inquiétudes sur le marché du travail et les pressions inflationnistes. En septembre, elle a finalement penché en faveur de la gestion des risques qui pèsent sur l’emploi en baissant ses taux.
La clé pour l’économie américaine reste l’évolution de la consommation des ménages, le risque étant que la dégradation du marché du travail et le rebond attendu de l’inflation créent un effet ciseau sur le pouvoir d’achat des ménages. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, les revenus d’activité augmentant plus rapidement que les prix (graphique 4).
Au niveau de l’investissement non-résidentiel, les signaux sont contrastés. Une bonne partie des investissements (structures, équipements informatiques) est à l’arrêt, mais l’investissement en informatique et logiciels des entreprises est tiré par le boom de l’intelligence artificielle (graphique 5). Les plans d’investissement des Magnificent 7 font état d’une hausse de 25% des investissements en 2026. Ce boom soutient la croissance mais présente des risques de concentration en cas de retours sur investissements inférieurs aux attentes.
Le secteur de l’immobilier reste un point de fragilité, mais les baisses de taux pourraient avoir des effets bénéfiques à moyen terme. En effet, le renchérissement des prix post-Covid et la forte remontée des taux hypothécaires ont réduit le pouvoir d’achat immobilier des ménages américains à un niveau plus bas qu’au moment de la bulle immobilière du niveau des années 2000 (graphique 6). En conséquence, les transactions se sont effondrées. Les prix ayant commencé à baisser, la baisse des taux soutiendrait le pouvoir d’achat des ménages.
À ces questions sur la conjoncture s’ajoutent celles sur l’indépendance de la Fed, au gré des assauts que multiplie la Maison Blanche sur les dirigeants de la banque centrale (Jerome Powell, Lisa Cook), et du remplacement d’un gouverneur démissionnaire par Stephen Miran, proche conseiller économique de Donald Trump.
Sans aller jusqu’à entièrement féodaliser la Fed, la pression politique et l’influence de la Maison Blanche sur l’institution pourrait suffire à produire des conséquences macroéconomiques dommageables.
Quelles trajectoires pour le reste du monde ?
La zone euro bénéficie d’une croissance toujours correcte tirée essentiellement par la demande domestique (graphique 7). En effet, sur le front des échanges internationaux, le commerce extérieur pèse déjà depuis plusieurs trimestres.
Le plus dur pourrait être déjà derrière nous. Les indices PMI s’améliorent depuis le début de l’été. L’amélioration est tirée par le secteur manufacturier, pourtant censé être le plus touché par les droits de douane. Ces enquêtes sont cohérentes avec une croissance annuelle de l’ordre de 1,0%.
À ces éléments positifs s’ajoutent deux soutiens de taille à la demande domestique :
- L’enveloppe du plan NextGen EU n’a pas totalement été tirée : 45% des montants promis n’ont pas encore été déboursés, ce qui correspond à 1,6% du PIB de l’Union Européenne.
- Surtout, le plan de relance allemand, qui conduit à une augmentation significative de la dépense budgétisée dès 2025, devrait produire ses bénéfices et ruisseler dans l’économie européenne dès la fin de l’année (graphique 8)
Le coût de cette relance par l’investissement reste mesuré, grâce la capacité de la plupart des pays de l’Union Européenne à continuer à réduire leur déficit.
La France, qui a au contraire vu son déficit se dégrader sur la période, n’a d’autre choix que de devoir passer par une période délicate d’assainissement de ses finances publiques qui risque de peser temporairement sur la croissance.
Cependant, la banque centrale dispose de marges de manœuvre intactes grâce à la normalisation de l’inflation, très bien engagée, qui lui a permis de baisser ses taux de 4,0% à 2,0% et de faire plus en cas de besoin.
À contre-courant du reste du monde, la dynamique des prix en Chine continue de faire peser sur le pays l’épée de Damoclès de la déflation. Afin d’y échapper, les autorités continuent d’ajuster avec délicatesse leur politique de l’offre par la poursuite de l’apurement des inventaires immobiliers d’une part, et par la montée en puissance des initiatives « anti-involution » d’autre part, visant à juguler les capacités industrielles excédentaires qui entraînent les secteurs manufacturiers innovants ou traditionnels dans la spirale de la guerre des prix (graphique 9).
Conclusion macroéconomique
Le ralentissement économique global se confirme en 2025 et pour 2026 mais il est modéré, avec des tendances plus hétérogènes selon les régions, tant au niveau de la croissance que de l’inflation ou des politiques monétaires.
Le degré d’incertitude économique diminue mais reste à un niveau élevé.
Aux États-Unis, la dégradation de la dynamique du marché du travail, malgré un nombre de chômeurs toujours bas, a finalement conduit la Fed à baisser ses taux en septembre pour limiter les risques, malgré la persistance de l’incertitude entourant l’inflation.
Dans la zone euro, où la dynamique des prix est mieux engagée, la croissance devrait bénéficier de la résilience de la demande domestique, bientôt aidée par les plans de relance européens. La réduction du déficit budgétaire limite les marges de manœuvre de la France, mais la BCE dispose des moyens d’agir en cas de besoin.
Le modèle chinois basé sur les exportations a résisté, mais les défis internes de la faiblesse de la demande domestique, de la déflation, de l’involution, et de l’apurement du stock immobilier continuent de créer de la volatilité autour de la cible de croissance du Parti.
De la promptitude des marchés à valoriser les meilleurs des mondes
Depuis la fin de l’été, à la faveur de la dégradation de la dynamique du marché du travail, les marchés ont revu à la baisse leurs anticipations de taux directeurs terminaux aux Etats-Unis (2,9% environ, graphique 10).
En septembre, la Fed leur a emboité le pas en procédant à sa première baisse de taux de l’année afin de réduire les risques pesant sur le marché du travail, malgré un taux de chômage encore bas (4,3%).
Les attentes de taux courts semblent désormais bien intégrer les fondamentaux américains. Ainsi, il devient délicat d’en espérer davantage. La partie longue a bénéficié d’un repli de la volatilité au gré des données moins bonnes et grâce aux négociations commerciales.
En Europe, la BCE semble décidée à maintenir ses taux directeurs autour de 2% faute de signes de basculement de l’économie. Cependant, le renforcement de l’euro et la dégradation de la conjoncture américaine créent un contexte favorable à une baisse supplémentaire. En attendant, les marchés composent avec les paramètres spécifiques et techniques (déficit budgétaire français, émissions allemandes) pour valoriser la prime de maturité sur la courbe européenne. Au Royaume-Uni, la dégradation des données de l’emploi a comprimé les attentes de taux courts du marché, mais le manque de gains sur le front de l’inflation complique la tâche de la Bank of England.
En l’absence d’accident économique, le mix croissance et inflation actuel reste plutôt porteur pour les entreprises privées. Ce sont davantage les attentes (ventes, bénéfices) et les multiples de valorisation qui posent un risque de marché, la capitalisation du marché américain atteignant des niveaux records en proportion du produit intérieur brut (graphique 11).
Il en résulte des valorisations globalement élevées des actifs risqués. Du côté du crédit, les spreads se sont resserrés à des niveaux historiquement bas tandis que sur les marchés actions, les multiples de valorisation se sont renchéris bien au-delà de leur moyenne historique (22x pour le S&P500). Cette situation peut se prolonger tant que les fondamentaux le permettent mais présente des risques d’ajustement. Dans cette configuration, l’Europe et le Japon offrent des niveaux de valorisation plus attractifs (graphique 12).
Conclusion de marché
Les marchés ont été prompts à intégrer les baisses de taux directeurs sans intégrer les risques économiques qui les accompagnent historiquement. Cela s’est traduit sur les marchés américains par une expansion des multiples de valorisation. Un ajustement de valorisations est possible, d’autant que les attentes de taux sont désormais bien prises en compte. Ceci invite à être relativement prudent sur les actifs risqués malgré des fondamentaux porteurs.
La croissance bénéficiaire reste bonne aux Etats-Unis, grâce à la domination des valeurs technologiques, mais cette concentration ajoute au risque d’ajustement.
Nous privilégions l’Europe : la croissance des résultats a été plus faible au dernier trimestre mais se reprend l’an prochain (+12% pour l’Eurostoxx) grâce à une profitabilité record (15% de marge opérationnelle attendue pour les 12 prochains mois). La valorisation (14,2x les bénéfices 2026) demeure attractive. Nous maintenons notre préférence pour les petites et moyennes capitalisations des deux côtés de l’Atlantique.
Les taux d’intérêt sur les maturités longues ont retrouvé des niveaux plus en ligne avec les fondamentaux macroéconomiques et devraient retrouver leur rôle protecteur en cas de ralentissement économique, tandis que la trajectoire d’inflation s’améliore particulièrement en Europe. Nous privilégions la duration sur cette zone ou les stratégies de valeur relative. Nous continuons d’anticiper un resserrement du spread entre le Royaume-Uni et l’Allemagne, à la faveur d’un ralentissement de l’économie britannique et d’efforts budgétaires alors que l’Allemagne, emprunteur de qualité, redevient active sur le front des émissions.
Nous sommes positifs sur les obligations d’entreprises. Les spreads sont déjà à des niveaux très bas, mais le portage est attractif au regard des fondamentaux toujours solides.
Résumé des perspectives économiques – Septembre 2025
LEXIQUE
BCE : Banque Centrale Européenne.
Fed : La réserve fédérale des Etats-Unis, soit la banque centrale des Etats-Unis.
PIB : Le produit intérieur brut est l’indicateur économique qui permet de quantifier la valeur totale de la « production de richesse » annuelle effectuée par les agents économiques résidant à l’intérieur d’un territoire.
Indices PMI : Les indices PMI (Purshasing Manager’s Indices) sont des indicateurs de confiance qui synthétisent les résultats des enquêtes menées auprès des directeurs d’achats des entreprises. Une valeur supérieure à 50 indique un sentiment positif, tandis qu’une valeur inférieure à 50 indique un sentiment négatif.
PE (ou P/E, PER) : Le price-earnings ratio correspond au rapport entre capitalisations boursières et profits des entreprises. Cet indicateur est notamment utilisé en analyse financière pour évaluer la valeur d’un titre par rapport aux sociétés du même secteur.
Spread de crédit : correspond à l’écart de rendement d’une obligation avec celui d’un emprunt « sans risque » de même maturité. Le terme « spread » désigne donc un « écart de taux » ou « différentiel de taux ». Plus la solvabilité de l’émetteur est perçue comme bonne, plus faible est le spread.
Magnificent 7 : le terme désigne les 7 plus grandes valeurs de la « tech » américaine : Apple, Nvidia, Amazon, Microsoft, Alphabet (Google), Meta (Facebook) et Tesla. Il s’agit des « GAFA » auxquelles trois autres valeurs phares du secteur technologique ont été ajoutées.
L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de septembre 2025 et est susceptible de changer. Données les plus récentes à la date de publication.
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