Perspectives économiques – Septembre-octobre 2024

L’économie américaine se trouve à la croisée des chemins, et la direction qu’elle prendra déterminera la trajectoire de l’économie mondiale et des marchés financiers. La Réserve fédérale a entrepris des baisses de taux, mais celles-ci seront-elles suffisantes pour assurer un atterrissage en douceur de l’économie ? Les prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis viennent également ajouter une couche d’incertitude. Les marchés financiers ont du mal à s’orienter dans cet environnement, comme en témoigne la divergence historique entre les attentes des marchés obligataires et celles des actifs risqués, une situation qui pourrait engendrer de la volatilité lorsque les perspectives deviendront plus claires.

Economie américaine : les baisses de taux de la Fed ne sont pas la garantie d’un soft landing

Après une réaccélération en début d’année, l’inflation s’est modérée sur les derniers mois, renforçant la confiance de la Réserve Fédérale dans un retour à l’objectif de 2% d’inflation (graphique 1).

Dans le même temps, la croissance a été solide au premier semestre et les tensions sur le marché du travail se sont atténuées, nourrissant l’espoir d’un atterrissage en douceur de l’économie américaine.

Cependant, plusieurs indicateurs du marché de l’emploi se sont détériorés durant l’été, ravivant les inquiétudes autour de la dynamique économique. C’est le cas notamment des créations d’emplois qui ont diminué de moitié en seulement quelques mois (graphique 2).

De même, le taux de chômage a sensiblement augmenté pour atteindre 4,2% en août, contre un point bas à 3,4% en avril 2023, et 3,7% en début d’année. La règle de Sahm dit qu’une hausse de plus de 0,5% de la moyenne sur trois mois du taux de chômage par rapport à son point bas des douze derniers mois signale une récession. Ce critère a été rempli au mois de juillet.

Pour l’instant, la hausse du taux de chômage s’est produite sans augmentation notable des licenciements. Cela n’en reste pas moins précoccupant, car historiquement, les licenciements ne sont responsables que d’un quart des fluctuations du chômage, tandis que les variations des embauches en expliquent les trois quarts.

Face à l’affaiblissement du marché du travail, la Fed a commencé à baisser son taux directeur avec un premier mouvement de -50 points de base en septembre (graphique 3), estimant que les risques entre inflation et emploi sont davantage équilibrés.

Toutefois, cela n’est pas la garantie d’un soft landing, les effets de la politique monétaire prenant du temps à se diffuser dans l’économie.

Historiquement, il faut compter entre six et neuf mois environ après la première baisse de taux pour observer une stabilisation des données d’activité économique et entre neuf et douze mois pour observer un redressement (graphique 4).

Le point rassurant pour la croissance est que l’on observe déjà depuis quelques mois un assouplissement des conditions financières et de crédit (graphique 5).

En somme, l’économie américaine se trouve à la croisée des chemins entre le ralentissement du marché du travail et l’élan généré par l’assouplissement des conditions monétaires et financières, à l’approche d’une élection présidentielle incertaine.

Economie américaine : élections présidentielles et échéances budgétaires, des risques sous-estimés par les marchés ?

La répartition des grands électeurs montre que la course entre Kamala Harris et Donald Trump est extrêmement serrée (graphique 6), avec une incertitude persistante sur la volonté de Donald Trump d’accepter les résultats en cas de défaite.

Les programmes économiques des deux candidats diffèrent, mais sont tous deux dispendieux. Donald Trump prévoit des baisses d’impôts et une hausse des droits de douane qui serait inflationniste, tandis que Kamala Harris propose des hausses d’impôts et une augmentation des dépenses. L’ensemble des mesures annoncées augmenterait le déficit cumulé de 1,5 % du PIB sur 10 ans pour Donald Trump et de 0,3 % pour Kamala Harris.

Toutefois, la capacité de chaque candidat à mettre en œuvre son programme dépendra du résultat des élections au Congrès. Les projections actuelles sont favorables aux Républicains pour la Chambre des Représentants, tandis que l’incertitude est plus grande  pour le Sénat.

À court terme, de nombreuses échéances budgétaires se dessinent. Le budget pour l’exercice fiscal 2025 doit être voté avant le 1er octobre, et le plafond de la dette sera rétabli au début de l’année prochaine. Le Trésor dispose néanmoins de plusieurs mécanismes pour repousser le moment où les dépenses seront contraintes.

À plus long terme, la question budgétaire est loin d’être résolue. Cela fait presque dix ans que le déficit budgétaire ne suit plus une logique contracyclique (graphique 7). Malgré un taux de chômage très bas, le déficit a dépassé les 6 % du PIB en 2023. Cette accumulation de déficits élevés place la dette publique sur une trajectoire haussière (120% du PIB).

Quelles trajectoires pour le reste du monde ?

Dans la zone euro, les indicateurs économiques sont cohérents avec une croissance qui reste modérée, à environ 0,3 % (graphique 8). L’économie est principalement soutenue par le secteur des services, tandis que la production manufacturière demeure orientée à la baisse, particulièrement en Allemagne, où la conjoncture est mauvaise.

À l’inverse des États-Unis ces derniers mois, la consommation des ménages européens a augmenté à un rythme inférieur à celui des salaires réels, impliquant une hausse du taux d’épargne (graphique 9). Les ménages restent donc très prudents, mais l’amélioration de la confiance et la baisse des taux d’intérêt pourraient stimuler une reprise de la consommation.

Le marché du travail se porte bien, avec un taux de chômage à son plus bas historique. Même en Allemagne, l’augmentation du chômage est très limitée. En conséquence, la hausse des salaires demeure élevée, les données trimestrielles suivies par la BCE indiquant une progression des coûts salariaux d’environ 4 % par an. Cela ralentit la normalisation de l’inflation dans les services et, par conséquent, le rythme des baisses de taux de la BCE (graphique 10).

En France, depuis la sortie de la pandémie de COVID, la croissance moyenne est de 1,0 %, avec des créations d’emplois significatives. La principale question reste l’évolution de la politique budgétaire, alors que le déficit budgétaire devrait rester supérieur à 5,0% du PIB en 2024. Michel Barnier parviendra-t-il à faire adopter un budget pour 2025 ? Avec quels efforts de réduction du déficit ?

Au Japon, le PIB progresse à un rythme modéré mais cela se fait avec une population qui diminue de 0,5% par an. Cela signifie que le PIB par tête continue de progresser à un bon rythme. La confiance des entreprises les plus exposées à l’économie domestique est également bien orientée.

Les salaires progressent au rythme le plus élevé des trente dernières années, ce qui n’empêche pas les profits des entreprises d’augmenter fortement (graphique 11). L’inflation est revenue en territoire positif.

Cela constitue des conditions favorables pour que la Banque du Japon poursuive la normalisation de sa politique monétaire, renforçant sa confiance dans la sortie de déflation.

En Chine, les indicateurs économiques indiquent une poursuite du ralentissement de l’activité, mettant en péril l’objectif du gouvernement d’une croissance de 5% pour cette année.

La demande intérieure reste plombée par la crise du secteur immobilier, avec un impact direct sur l’investissement et un impact indirect sur la consommation des ménages (graphique 12).

Etant donné le niveau encore très élevé du stock de logements à vendre, la stabilisation du secteur de l’immobilier pourrait prendre du temps (graphique 13).

A contrario, le secteur manufacturier exportateur est bien orienté (graphique 14). Mais cela engendre des tensions avec les partenaires commerciaux, l’évolution de la politique commerciale américaine après les élections constituant une source majeure d’incertitude pour l’économie chinoise.

La situation nécessiterait des mesures de relance importantes qui tardent à venir.

Conclusion macroéconomique

Aux États Unis, la désinflation et le ralentissement du marché du travail amènent la banque centrale à baisser ses taux. L’économie américaine est à la croisée des chemins :

  • Si le taux de chômage se stabilise dans les prochains mois, cela signifiera que la Réserve Fédérale aura réussi à mettre en œuvre un soft landing.
  • Si le taux de chômage poursuit sa hausse, cela signifiera que l’économie américaine ralentit fortement, au risque d’une récession.

L’histoire plaide pour une poursuite de la hausse du taux de chômage, mais l’économie post-COVID pourrait continuer à surprendre par sa résilience.

La zone euro évolue encore à un rythme de croissance modéré, mais le regain de confiance des ménages pourrait permettre une amélioration. Le secteur manufacturier continue de traverser une période difficile. Par ailleurs, l’inflation demeure une préoccupation pour la BCE.

Au Japon, la sortie de déflation se confirme au vu de l’évolution des salaires et des profits des entreprises.

L’économie chinoise continue de ralentir en l’absence de mesures significatives du gouvernement.

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LEXIQUE

BCE : Banque Centrale Européenne.

Fed : La réserve fédérale des Etats-Unis, soit la banque centrale des Etats-Unis.

PIB : Le produit intérieur brut est l’indicateur économique qui permet de quantifier la valeur totale de la « production de richesse » annuelle effectuée par les agents économiques résidant à l’intérieur d’un territoire.

Indices PMI : Les indices PMI (Purshasing Manager’s Indices) sont des indicateurs de confiance qui synthétisent les résultats des enquêtes menées auprès des directeurs d’achats des entreprises.    Une valeur supérieure à 50 indique un sentiment positif, tandis qu’une valeur inférieure à 50 indique un sentiment négatif.

PE (ou P/E, PER) : Le price-earnings ratio correspond au rapport entre capitalisations boursières et profits des entreprises. Cet indicateur est notamment utilisé en analyse financière pour évaluer la valeur d’un titre par rapport aux sociétés du même secteur.

€STER (Euro short-term rate) : taux interbancaire au jour le jour des banques de la zone euro (marché monétaire).

Prime de risque (actions) : la prime de risque des actions traduit le supplément de rendement offert par les marchés actions par rapport au « taux sans risque » des marchés obligataires (en général : taux des emprunts souverains à 10 ans). Ce rendement supplémentaire rémunère l’investisseur pour sa prise de risque.

Obligations High Yield : ces titres obligataires, également appelées à « haut rendement », sont des titres obligataires de nature spéculative dont la notation est inférieure à BBB- chez Standard & Poor’s ou Baa3 chez Moody’s. Ils proposent un rendement plus élevé en contrepartie d’un niveau de risque également plus élevé.

Spread de crédit : correspond à l’écart de rendement d’une obligation avec celui d’un emprunt « sans risque » de même maturité. Le terme « spread » désigne donc un « écart de taux » ou « différentiel de taux ». Plus la solvabilité de l’émetteur est perçue comme bonne, plus faible est le spread.

L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de septembre 2024 et est susceptible de changer. Données les plus récentes à la date de publication.

 

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