Dans le cadre de sa cinquième année d’études à l’Institut National du Patrimoine, Aurélie a réalisé la restauration d’une œuvre peu commune : le Christ de Pontrieux, statue constituée de multiples pièces de bois chevillées entre elles. Son état de conservation nécessitait une intervention d’urgence. Retour sur le projet de cette étudiante soutenue par la Fondation Lazard Frères Gestion – Institut de France.
Pouvez-vous nous rappeler ce qui vous a amenée à choisir cette œuvre pour votre projet de restauration à l’INP ?
Le choix de cette sculpture a été guidé par plusieurs envies. Tout d’abord, je souhaitais travailler sur une œuvre en bois, afin de faire un lien avec ma formation première de sculpture sur bois effectuée à l’école Boulle. Ensuite, le statut d’objet classé au titre des Monuments Historiques est une particularité que je voulais appréhender. En effet, ces œuvres, hors d’un contexte muséal, conservent la plupart du temps leur fonction d’origine. Les interventions de conservation-restauration doivent donc prendre en compte cet aspect usuel faisant partie de leur identité. Enfin, mon dernier critère était de me confronter à un « puzzle », composé de plusieurs éléments qu’il fallait réunir. Lorsque le Christ de Pontrieux m’a été proposé, celui-ci répondait parfaitement à toutes ces attentes. Cette œuvre en chêne, à échelle humaine, est remarquable par sa qualité d’exécution ainsi que par sa mise en œuvre faisant intervenir de nombreuses pièces de bois chevillées entre elles. Ayant été exposée plusieurs années en extérieur, son degré de dégradation était préoccupant et nécessitait un traitement à court terme pour la préserver, ce qui a d’autant plus suscité mon intérêt.
Votre travail a également consisté à mener l’enquête sur l’histoire de cette œuvre et de ces déplacements successifs. Pouvez-vous nous en parler ?
Au début de ce travail, très peu d’informations avaient été conservées au sujet de ce Christ en croix. D’anciennes cartes postales ont été retrouvées indiquant que l’œuvre a été présentée à deux emplacements différents dans l’église Notre-Dame-des-Fontaines de Pontrieux, à savoir suspendue dans le chœur, puis, en 1934, installée en face de la chaire à prêcher. Le Christ en croix a ensuite été déplacé en extérieur, devant la façade de l’église où il s’est rapidement dégradé. Par la suite, il a été retrouvé dans le grenier du presbytère de Pontrieux en 2009, lors de la mise en vente de ce dernier par la municipalité. Après cette découverte, l’œuvre présentant un intérêt public d’un point de vue de l’histoire ou de l’art, elle a été protégée, d’abord par son inscription en 2010 puis par son classement au titre des Monuments historiques en 2014.
Afin de déterminer son origine et d’affiner sa datation, nous avons entrepris des recherches durant plusieurs mois pour trouver des sculptures esthétiquement proches. Nous avons consulté des plateformes en ligne à la fois nationales et régionales, aussi bien officielles qu’amateurs. Finalement, dix sculptures répondaient strictement à la même description que le Christ de Pontrieux, et toutes (sauf une) sont concentrées dans les Côtes-d’Armor, dans l’arrondissement de Saint-Brieuc et plus particulièrement dans l’ancienne région du Penthièvre. En plus d’être proches stylistiquement, nous avons pu observer trois de ces sculptures en détails : leur principe de construction s’est également révélé être très similaire. Ces informations ont permis de supposer que ces sculptures ont été réalisées par un seul atelier, probablement localisé dans le Penthièvre, à la fin du XVIIIème / début du XIXème siècle. Une possible attribution à un artisan a pu être formulée grâce aux recherches menées sur les différentes œuvres.
Quelles ont été les principales étapes de la restauration ?
La cinquième année à l’Institut National du Patrimoine est divisée en plusieurs phases. Avant de restaurer une œuvre, les études historique et technique menées en parallèle de l’analyse de l’état de conservation ont permis de mieux appréhender la sculpture dans son ensemble. Des propositions d’interventions de conservation-restauration ont ensuite été formulées en fonction du statut de l’objet et du projet de présentation. Les interventions de conservation-restauration se sont décomposées en plusieurs grandes phases :
- Les traitements d’urgence dont le but étaient de stabiliser les altérations évolutives (dépoussiérage, traitement biocide et retrait des micro-organismes, refixage de la polychromie et nettoyage, consolidation des zones pulvérulentes, collage des éléments mobiles et des fragments, traitement des parties métalliques).
- Les traitements concernant la lisibilité de l’œuvre pour aider à sa compréhension (interventions sur les assemblages des bras, remise en place des chevilles débordantes).
- Les traitements esthétiques suite à la remise à la verticale de l’œuvre, visant à améliorer la vision d’ensemble de la sculpture (restitution de pièces manquantes, comblement des ouvertures d’assemblage jugées comme gênantes, réintégration colorée).
Quels ont été les défis techniques, peut-être inattendus, auxquels vous avez été confrontée ?
Pour chaque intervention, nous avons essayé de sélectionner des produits adaptés aux profils des altérations tout en étant compatibles avec les matériaux constitutifs de la sculpture.
Une des étapes « compliquées » a été l’ajout de pièces de bois pour restituer certains manques et combler des ouvertures de pièces très profondes. Cette intervention avait un double objectif :
- favoriser la conservation de l’œuvre, en limitant notamment le risque d’empoussièrement et l’installation d’organismes vivants (éléments engendrant potentiellement des dégradations plus néfastes).
- améliorer l’aspect esthétique de la sculpture. Celle-ci étant une œuvre de dévotion qui retournera dans un lieu de culte, il est important que celle-ci retrouve un aspect visuel cohérent et harmonieux. Les manques qui nuisent particulièrement à la perception du Christ en croix, et donc dérangeants pour le recueillement des fidèles, ont été restitués.
Les pièces ont été réalisées en balsa ou en tilleul, deux essences de bois très utilisées en conservation-restauration pour leur densité plus faible que celle du chêne dégradé de notre sculpture. Le tilleul étant plus résistant que le balsa, il a été réservé pour certaines parties structurelles. Ces pièces de bois, sculptées à l’aide de scalpels et de gouges (outils spécifiques à la sculpture sur bois), ont dû être taillées au fur et à mesure pour s’ajuster aux dimensions des ouvertures.
La sculpture présentant différentes couches de polychromie et des zones de bois nu plus ou moins foncé, il n’a pas été évident de retoucher ces ajouts en bois pour les fondre dans la sculpture. D’un point de vue déontologique, il est en effet important que ces pièces refaites restent différenciables de la sculpture originale, alors que d’un point de vue esthétique, il était nécessaire de maintenir la cohérence générale du Christ en croix. Pour cet objet, nous avons fait le choix de teinter nos restitutions en nous basant sur la couleur de bois environnante la plus représentative, en passant du gris-blanc, au marron clair ou foncé, suivant les endroits. L’ensemble de ces interventions a duré plus de 120 heures.
Qu’avez-vous appris grâce à ce projet ?
Cette année de diplôme a été particulièrement formatrice. Les nombreux aspects de cette étude ont été passionnants et m’ont permis d’appréhender les multiples facettes de cette œuvre, matérielles comme immatérielles. Le projet de réinstallation de la sculpture au sein de l’église de Pontrieux a été décidé. Les traitements s’inscrivent donc dans le cadre de la remise en état global de l’édifice, actuellement en cours. C’est par la compréhension et l’étude de l’ensemble de ces éléments ainsi que de son contexte d’exposition que les interventions de conservation-restauration ont pu être formulées.
La réalisation de ce projet a été extrêmement enrichissante de part la diversité des traitements entrepris. L’œuvre présentant de nombreuses altérations, cette expérience m’a aidée à anticiper des actions sur un travail de grande envergure. Ces interventions m’ont également amenée à échanger avec différents interlocuteurs : les représentants de l’objet, mes encadrants mais aussi avec les responsables et étudiants d’autres spécialités, ce qui m’a permis de me confronter à une organisation de travail proche de celle que j’aurai dans mon avenir professionnel.
Une nouvelle action en faveur du patrimoine culturel, historique et artistique de la fondation Lazard Frères Gestion – Institut de France. Pour en savoir plus sur la fondation : https://latribune.lazardfreresgestion.fr/lancement-de-la-fondation-lazard-freres-gestion-institut-de-france/