Credit Suisse : notre analyse des récents événements

Le cours de l’action de Credit Suisse (CS) a fortement baissé dans la journée du 15 mars, avec une action terminant à -24% après avoir touché un plus bas à -30% en séance. Jeudi 16 mars, les inquiétudes de la veille laissaient place à un rebond en matinée.

Plusieurs facteurs à l’origine de cette chute

Les raisons de cette chute proviennent notamment d’un commentaire de son 1er actionnaire, la Saudi National Bank (SNB), possiblement sorti de son contexte mais fortement relayé par les médias, qui a rejeté l’idée d’apporter plus de soutien en capital à CS si nécessaire. La SNB a déclaré qu’elle ne pouvait pas apporter ce soutien pour des raisons réglementaires et statutaires :

« Le sujet n’est pas simple, et ceci pour de nombreuses raisons, à commencer par une raison d’ordre réglementaire et statutaire. Nous détenons actuellement 9,88 % de la banque. Si nous dépassons les 10 %, de nouvelles règles entrent en vigueur, que ce soit de la part de notre régulateur, du régulateur européen ou du régulateur suisse. Et nous ne sommes pas enclins à entrer dans un nouveau régime réglementaire » (Ammar Al Khudairy, Président de la Banque nationale saoudienne).

Le cours de bourse de Credit Suisse a accéléré sa baisse après cette déclaration. Nous ne pensons néanmoins pas que Credit Suisse ait besoin de plus de capital : en effet, un apport additionnel de fonds propres afin de relever encore davantage les ratios de fonds propres ne changerait pas grand-chose. Notons que la SNB détient 9.9% du capital de Credit Suisse, acquis début décembre 2022 lors de l’augmentation de capital de 4 Mds réalisée alors.

Jeudi 16 mars, dans une interview accordée à CNBC, M. Al Khudairy a déclaré que la panique relative à Credit Suisse était injustifiée. Il a notamment souligné qu’il avait déjà indiqué en octobre que la Banque nationale saoudienne n’augmenterait pas sa participation dans la banque au-delà de 9,9 %, citant les mêmes obstacles réglementaires. M. Al Khudairy a précisé qu’il n’y avait pas eu de discussion avec Credit Suisse sur l’aide à apporter à la banque et a ajouté que les marchés sont nerveux et excessivement sensibles aux éléments pouvant confirmer leurs inquiétudes.

Notons que Credit Suisse a par ailleurs fait l’objet d’un examen minutieux de la part de la SEC la semaine dernière concernant certaines « faiblesses matérielles » identifiées dans son rapport annuel 2022, dont la publication a été retardée de quelques jours. L’auditeur PWC a approuvé les comptes mais a également émis une opinion sur le contrôle interne de l’information financière et a demandé quelques reclassifications, principalement sur les tableaux des flux de trésorerie en 2019 et 2020, sans impact sur les comptes de résultats publiés au cours des deux dernières années. Bien que les entreprises doivent naturellement disposer du contrôle interne le plus élevé vis-à-vis de leurs rapports financiers, nous estimons que ces reclassements dans les tableaux de flux de trésorerie ne sont pas « graves » du point de vue de la situation actuelle de la banque, car ils concernent uniquement des exercices antérieurs à la période actuelle.

Au cours des derniers jours, les Credit Default Swaps (CDS) de Credit Suisse étaient également sous pression, les CDS à court terme augmentant considérablement, en raison d’une activité de couverture menée par certaines contreparties de Credit Suisse, nous semble-t-il. À un moment donné, le CDS de Credit Suisse a dépassé les 1 000 points de base, un seuil indiquant un certain niveau de stress.

Selon nous, toutes ces évolutions du marché et ces gros titres augmentent la pression sur la direction de Credit Suisse, mais échappent en grande partie à son contrôle. Il n’est pas facile de briser le cercle vicieux des mauvaises nouvelles, qui pourraient pousser les clients à s’inquiéter pour leurs actifs au sein de la banque.

Une banque systémique

CS est une des 30 banques mondiales dites systémiques telles que le définit le Financial Stability Board, de par sa taille notamment. C’est donc une G-SIB (Global Systemic Important Bank).

Elle est la 2nde banque universelle en Suisse (banque de détail au service des entreprises et des institutionnels, avec 15% de parts de marché), la 2nde franchise en banque privée hors présence aux Etats-Unis avec 540 Mds d’encours sous gestion, un important gérant d’actifs avec 402 Mds d’actifs sous gestion et était une importante banque d’investissement avant sa décision de fortement réduire cette activité.

Credit Suisse revendique ainsi dans ses derniers rapports financiers :

  • 50.000 salariés.
  • 14.9 Mds de revenus en 2022
  • 531 Mds de taille de bilan
  • 45 Mds de fonds propres, dont 41.7 Mds de fonds propres tangibles
  • Au total, Credit Suisse gère 1 293 Mds d’AuM pour le compte de clients, toutes lignes de métier confondues.

Credit Suisse a également de très beaux actifs selon nous :

  • Banque privée, générant 1.9 Mds de profits avant impôts / an, sans forte volatilité (voir rapports financiers).
  • Gestion d’actifs, rentable, à faible risque également.
  • Banque universelle Suisse, une rentabilité stable dans le temps allants de 1.5 à 1.9 mds de profits avant impôts / an (voir rapports financiers).

L’activité principale déficitaire est sa banque d’investissement, que son management a décidé de restructurer, réduire et recentrer, pour la mettre au service des autres lignes de métier. Une bonne décision selon nous, qui n’avait que trop tardé.

Une banque solidement capitalisée

Credit Suisse est une banque bien capitalisée avec un ratio Core Equity Tier 1 (CET1) de 14.1%, supérieur aux exigences du régulateur local de 9.3%.

Le schéma ci-dessous présente la structure de capital de Credit Suisse, qui comprend :

  • 35.3 Mds de capital CET1
  • 14.7 Mds d’Additional Tier 1 (AT1)
  • 49.1 Mds de dettes Senior « Holdco» (émises par la Holding)

En terme de ratio de capital total, Credit Suisse détient un ratio de 39.5% face à des exigences de 25.1%. Enfin, exprimées en ratio de levier, Credit Suisse a un ratio de levier total de 15.2% face à des exigences de 8.8%.

La banque est donc solidement capitalisée vs les exigences locales. Cette démarche est volontaire de la part du management afin de gérer plus sereinement la période de transition dans le cadre du nouveau plan stratégique de la banque défini à l’automne dernier.

Liquidité et structure de bilan

En matière de liquidité, Credit Suisse a un ratio de liquidité LCR (Liquidity Coverage Ratio) de 144% fin 2022 (voir rapports financiers). Le PDG de CS, lors d’une interview durant la conférence de Morgan Stanley à Londres le 14/03, a précisé que ce ratio LCR était remonté à 150% en moyenne trimestrielle avec un chiffre « spot » supérieur au 14/03.

CS dispose de 59 Mds de cash déposés auprès des banques centrales. Ce montant, en addition de titres de dettes de bonne qualité (HQLA = High Quality Liquid Assets*), offre à CS un volant de liquidité théorique de 120 Mds, soit 23% du bilan total de CS (voir rapports financiers).

Source : Credit Suisse – voir rapports financiers 

Ses actifs sont très liquides puisque 291 Mds sont récupérables sous 3 mois, soit 55% de son bilan.

Le bilan de Credit Suisse est par conséquent très liquide selon nous et ne nous semble pas non plus souffrir d’un stock de moins-values latentes comme cela était le cas pour SVB.

Le schéma ci-dessous illustre la décomposition du bilan de Credit Suisse, entre actifs et passifs.

Les encours de dépôts de Credit Suisse s’élèvent à 234 Mds tandis que les encours de prêts sont de 276 Mds.

La banque ayant engagé un programme de cessions d’actifs et de désendettement, ses besoins de financement sont par conséquent réduits. Credit Suisse prévoit de rembourser plus de titres de dettes en 2023 qu’il ne devrait en émettre. Cela devrait également se poursuivre durant les deux prochaines années (voir rapports financiers et stratégie).

Source : Credit Suisse – voir rapports financiers 

Source : Credit Suisse – voir rapports financiers 

Source : Credit Suisse – voir rapports financiers 

Stratégie et compte de résultat

La banque a lancé un plan de restructuration le 27 octobre dernier (voir rapports financiers et stratégie). Ce dernier prévoit de substantiellement réduire les activités de Banque d’Investissement et de se recentrer sur la banque universelle en Suisse, la Gestion d’Actifs, la Banque Privée et une activité réduite en banque d’investissement au service des autres métiers.

Ce plan prévoyait des cessions d’actifs, du désendettement, une réduction des effectifs et des coûts notamment en banque d’investissement et une augmentation de capital de 4 Mds qui fut finalisée début décembre et à laquelle la SNB a participé afin d’être un actionnaire d’ancrage.

A ce jour, le management nous semble avoir pris des décisions conformes au plan annoncé, allant dans le sens d’un renforcement de son ratio de fonds propres et de sa rentabilité :

  • SPG, activité de titrisations, la plus illiquide et consommatrice de capital, a été cédée à Apollo et va générer au 1Q23 une plus-value de 800 M, soit +30 bps de CET1
  • 25% du plan de désendettement a été finalisé au 31/12/2022
  • Les réductions de coûts de 2.5 Mds dont la moitié en 2023 sont en cours et bien avancées
  • Le lancement de CS First Boston, nouvelle banque d’investissement qui devrait être introduite en bourse en 2025
  • L’augmentation de capital de 4 Mds a été conclue et a renforcé les ratios de fonds propres de la banque.

La contrepartie de ce lourd plan de restructuration sont des pertes de -7.3 Mds enregistrées en 2022, dont -4 Mds de provisions sur crédit d’impôts. D’autres pertes sont attendues en 2023 mais à un niveau inférieur à celles de 2022.

Quelles sont les options possibles désormais ?

Du fait de la spirale négative dans laquelle la banque et son management sont engagés, une forme de soutien politique et des autorités de supervision locales s’impose. Pour SVB, la Fed et le Trésor américain sont bien intervenus afin de protéger une forme de contagion aux banques régionales américaines. Il n’est donc pas improbable que les autorités suisses fassent de même.

La faillite de SVB aux Etats-Unis a créé de la fébrilité sur les marchés et potentiellement endommagé le sentiment des investisseurs. Credit Suisse apparaît donc plutôt comme une victime indirecte, du fait de son plan de restructuration, des événements qui se sont déroulés aux Etats-Unis.

Quatre scénarios se dessinent, deux étant peu probables selon nous et les deux autres étant très opposés en terme d’issue pour les créanciers, notamment Senior Holdco et AT1. Le premier scénario serait le plus favorable pour les détenteurs d’AT1, tandis que le dernier apparaîtrait comme le plus défavorable.

1) Rachat par un autre établissement bancaire et restructuration avec fermeture totale de la banque d’investissement, financée par le « badwill » (30-32 Mds de badwill). Un adossement / rachat de Credit Suisse par UBS nous semble être le scénario le plus probable afin d’éviter une crise systémique indésirable et écorner inutilement l’image des banques suisses. Credit Suisse ne souffrant pas d’un déficit en capital ou de liquidités, nous ne voyons pas de raisons justifiant de convertir des instruments de dettes en capital afin de renflouer la banque.

2) Intervention de la Banque Centrale Suisse (Banque Nationale Suisse), qui pourrait notamment se traduire par :

  • une garantie de tous les dépôts des clients de CS en Suisse, afin de stopper l’hémorragie et la fuite de dépôts.
  • une entrée au capital, mais serait dilutif pour les actionnaires actuels – le capital n’est pas le sujet selon nous : apporter 5 ou 10 Mds ne changera pas l’équation, mais en revanche rassurera sur CS avec un nouvel actionnaire essentiel pour résoudre la crise de confiance que traverse la banque.
  • une nationalisation complète de CS en étant son seul et unique actionnaire – rassure les clients et résout le problème de confiance qu’a la banque

3) Nouvelles annonces prises par le management de la banque

  • Annoncer la fermeture complète de la banque d’investissement, coût estimé par JP Morgan à 7 Mds avant impôts ou 5 Mds après impôts (10 Mds de capital libéré), 210 Mds d’exposition au bilan et hors bilan.
  • Vente partielle de la banque universelle suisse (33% à 50%), valeur estimée de 15 Mds.

4) Résolution / renflouement : décision prise par la FINMA / Banque Centrale Suisse, mais serait pénalisant pour la franchise de la banque car enverrait un message négatif fort, avec probablement des clients détenant des instruments de dettes émis par CS. Un pareil scénario apporterait du capital additionnel dont n’a pas besoin la banque sans résoudre la crise de confiance. Une poursuite de la suspicion des investisseurs après une telle issue défavorable sur des instruments de dettes subordonnés et sur une banque aussi importante n’est pas à exclure.

Qu’est-ce qui a été annoncé dans la nuit du 15 au 16 mars ?

Trois annonces ont été faites dans la nuit du 15 au 16 mars :

  1. Dans une déclaration conjointe, la Banque Nationale Suisse (banque centrale suisse) et la FINMA (autorité de surveillance locale) ont confirmé que Credit Suisse remplissait clairement des exigences élevées en matière de capital et de liquidité. En outre, la Banque nationale suisse a confirmé qu’elle fournirait des liquidités à Credit Suisse en cas de besoin (source).
  2. Credit Suisse a ensuite annoncé un emprunt de 50 milliards de francs suisses auprès de la banque centrale, dont 39 milliards dans le cadre d’une facilité de prêt couverte qui renforcera encore son ratio LCR de 150% (source).
  3. Credit Suisse a annoncé le lancement d’une offre publique d’achat sur une liste de 14 obligations senior, pour 2,5 milliards de dollars et 500 millions d’euros respectivement, essentiellement des obligations à court terme (2023, 2024 et 2025) avec une prime d’environ 5-6 points par rapport aux prix d’hier soir (source).

Nous pensons que ces annonces aideront à stabiliser à court terme les inquiétudes du marché à l’égard de Credit Suisse après la spirale baissière auto-réalisatrice dans laquelle ses actions et ses spreads de crédit ont été engagés. Les autorités de surveillance manifestent leur soutien et Credit Suisse montre que la liquidité n’est pas du tout un problème. Nous pensons également que l’offre publique d’achat soutiendra également les prix sur le marché secondaire pour ses propres obligations en ajoutant une demande supplémentaire.

Le comportement des clients après ces annonces et l’évolution du marché des actions et des CDS de la banque nous diront dans quelle mesure ces annonces ont permis d’apaiser les inquiétudes des clients et des investisseurs à l’égard de la banque. Si ce n’est pas le cas, d’autres décisions devront probablement être prises parmi les options que nous avons présentées ci-dessus.

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Auteurs :

François Lavier, CFA, Managing Director, Responsable des stratégies de dettes financières subordonnées

* Les actifs sont considérés comme HQLA s’ils peuvent être facilement et immédiatement convertis en espèces avec une perte de valeur faible ou nulle (source : Banque des règlements internationaux).

L’opinion exprimée ci-dessus est à jour à la date de publication, mais est susceptible de changer.

NB : tous les chiffres présents dans cette note sont exprimés en CHF.

Article rédigé en date du 16 mars 2023. Ce document n’a pas de valeur précontractuelle ou contractuelle. Il est remis à son destinataire à titre d’information. Les analyses et/ou descriptions contenues dans ce document ne sauraient être interprétées comme des conseils ou recommandations de la part de Lazard Frères Gestion SAS. Ce document ne constitue ni une recommandation d’achat ou de vente, ni une incitation à l’investissement. Ce document est la propriété intellectuelle de Lazard Frères Gestion SAS.

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