Docteur Folargent, ou « Comment j’ai appris à aimer la dette »

Suite à la crise du covid-19, les gouvernements se sont engagés dans des programmes de soutien d’une ampleur jamais vue jusque-là. Cette politique a pour conséquence une envolée des déficits et des dettes partout à travers le monde. Pour soutenir cette politique, les banques centrales ont mis en place des programmes d’achats de dettes publiques d’une ampleur elle aussi exceptionnelle.

Ces mesures ont été accueillies très favorablement par les marchés financiers, qui ont tout d’abord réussi à se stabiliser puis à rebondir fortement. Elles soulèvent cependant de nombreuses questions : que permet réellement ce financement par les banques centrales ? Présente-t-il des risques ? Une accélération de l’inflation est-elle à craindre ? Une annulation des dettes d’État détenues par la BCE est-elle possible, souhaitable ? La dette peut-elle croître sans limite ? Les gouvernements ne risquent-ils pas d’être forcés à un durcissement brutal de la fiscalité ?

Ordres de grandeur des déficits, dettes et quantitative easing

Le tableau suivant permet de fixer les ordres de grandeur. Il présente les évolutions des déficits, dettes et programmes de quantitative easing aux États-Unis et dans la zone euro. Pour rappel, les quantitative easing (QE en abrégé et assouplissement quantitatif en français) consistent pour les banques centrales à acheter massivement des actifs (obligations d’État, mais aussi obligations privées, voire même actions) avec comme objectif premier d’inonder les banques de liquidités pour les inciter à prêter aux entreprises et aux particuliers, et comme objectifs alternatifs d’aider les États à financer leur plans de soutien à l’économie ou de faire baisser la prime de risque des actifs risqués.

On constate que l’ampleur des déficits est historique et totalement inédite en temps de paix. La hausse de la dette entre 2019 et 2021 est comprise entre 15 et 40 points de PIB. La fourchette basse, qui correspond au Royaume-Uni, sera sans doute révisée à la hausse prochainement au vue des déclarations récentes de Boris Johnson sur un futur plan de relance massif. Dans la zone euro et au Royaume-Uni, les banques centrales ont déjà annoncé des programmes d’achat un peu supérieurs à 10% du PIB et il est probable que ces derniers soient augmentés si cela s’avère nécessaire. Au Japon et aux États-Unis, aucune limite n’a été fixée.

Ce que permettent ces programmes de quantitative easing

Les QE permettent d’accroître le volume de demande en obligations d’État. Si le volume d’émissions est constant, le taux d’intérêt va donc baisser. Si le volume d’émissions augmente, les nouvelles émissions auront moins de difficulté à trouver preneur. La hausse du taux va donc être limitée et les problèmes de financement à court terme des États seront limités, quel que soit le montant des émissions.

Une banque centrale dispose en effet de capacités d’achat illimitées dans sa devise. Pour le comprendre, il faut se rappeler que la banque centrale est la banque des banques commerciales. Ces dernières ont un compte courant de réserves auprès de la banque centrale. C’est une obligation mais également le meilleur moyen d’assurer leurs transactions entre elles. Lorsque la banque centrale achète un titre auprès d’une banque ou d’un client de cette banque, elle paye en créditant le compte de la banque commerciale. Contrairement aux banques commerciales, la banque centrale n’a aucun ratio à respecter et bénéficie d’un monopole en tant que banque des banques. Tant qu’elle reste dans le respect de ses objectifs de politique monétaire, rien ne peut donc limiter sa capacité d’achat. À noter qu’en réalité, le QE transforme seulement le passif du secteur public : ce qui était de la dette détenue par le secteur privé devient (par le biais des banques) des réserves banques centrales détenues par le secteur privé.

En faisant baisser fortement les taux d’intérêt, les quantitative easing résolvent également la question du coût de financement des États de manière temporaire.

Par ailleurs, le fait que ces politiques soient menées partout à travers le monde permet d’éviter qu’un pays soit stigmatisé et voit sa devise attaquée.

A priori, ces mesures exceptionnelles ne semblent pas avoir de conséquences néfastes. La dette est certes augmentée mais si la banque centrale peut la financer à l’infini, on ne voit pas le problème.

Mais, dans ce cas, pourquoi s’arrêter là ? Pourquoi ne pas systématiser une augmentation coordonnée des déficits au niveau mondial et ainsi chaque année reconduire les baisses d’impôts et les augmentations de dépenses ?

Les effets collatéraux de ces politiques

Il est tentant de penser que ces politiques n’ont pas d’impact sur le reste de l’économie. L’État emprunte via des émissions obligataires et la banque centrale achète ces titres. Certes, elle ne le fait pas directement auprès de l’État car une règle européenne le lui interdit. Mais le fait que des acteurs privés jouent le rôle d’intermédiaires en allant aux adjudications et en vendant des titres à la banque centrale ne change rien dans le fond.

Cela serait vrai si tout s’arrêtait là. Mais si l’État emprunte, c’est bien pour financer un surplus de dépenses par rapport à ses recettes. Ce déficit correspond à un flux net de cash vers le secteur privé. Pour prendre un exemple simple : si l’État emprunte pour financer un envoi de chèques aux ménages, il va débiter son compte et créditer celui des ménages.

Au final, les liquidités créées par la banque centrale ne font que transiter par l’État, elles finissent sur le compte des ménages ou sur celui d’un autre agent privé. Comptablement, la situation s’équilibre par le biais du bilan des banques commerciales qui voient apparaître à leur actif les réserves banques centrales, et à leur passif les dépôts du secteur privé.

L’envoi d’un chèque aux ménages, financé par une obligation émise par l’État et rachetée sur le marché par la banque centrale peut se résumer ainsi :

 

On peut noter qu’au transfert de liquidité par la banque centrale, via la banque commerciale, s’ajoute un transfert de richesse de l’État vers les ménages.

Quelle est la différence avec la politique post crise 2008-2009 ?

Suite à la crise de 2008-2009, on a également assisté à des politiques publiques expansionnistes soutenues par des quantitative easing des banques centrales.  L’ampleur des mesures actuelles est cependant sans commune mesure avec ce qui avait été fait à l’époque : en 2009, les déficits des États-Unis et de la zone euro « n’étaient que » de respectivement 13% et 6%. L’effet sur les agrégats monétaires est lui aussi totalement inédit, comme le montre le graphique suivant exprimant M2 en pourcentage du PIB américain. Pour rappel M2 inclut les billets, les dépôts à vue, les dépôts à moins de 2 ans et toute une série de livrets type livret A, livret jeune.

Les acteurs privés se retrouvent ainsi avec un niveau de liquidité a priori trop élevé par rapport à leurs besoins. En effet, autant les banques subissent leur niveau de liquidité, qui est globalement piloté par la banque centrale, autant pour les autres acteurs, ce niveau est choisi. C’est en général le montant qui permet d’assurer les dépenses probables à un horizon assez court, celles du mois pour les ménages qui ont des revenus de périodicité mensuelle.

Bien sûr, en période de forte incertitude, les agents privés peuvent préférer un niveau de liquidité plus élevé. L’historique de M2 depuis 60 ans montre cependant que la hausse actuelle est totalement inédite et peut, dès lors, difficilement être mise sur le compte de la perte de confiance des agents privés, celle-ci n’étant nullement inédite historiquement.

Comment les agents privés peuvent-ils ramener les liquidités à un niveau adéquat ?

Une première hypothèse est que le volume de liquidités s’autorégule. Si la croissance et l’inflation accélèrent suffisamment, les liquidités redeviendront adéquates sans changer en valeur. Pour reprendre l’exemple d’un ménage souhaitant détenir un mois de dépenses en liquidité, il suffit que ses dépenses augmentent suffisamment pour atteindre son nouveau montant de liquidité. Ici, ce ne sont pas les liquidités qui reviennent au niveau des dépenses mais l’inverse. Ce scénario n’est possible que si la croissance nominale accélère fortement.

Sinon, comment peuvent-ils faire baisser cette liquidité ? La réponse paraît triviale : ils n’ont qu’à la dépenser. Ce n’est en fait pas si simple car, ce faisant, ils ne font que transférer l’argent à un autre acteur économique qui va recevoir sur son compte cette liquidité. Leurs banques respectives s’échangeront des réserves banque centrale sans impacter non plus leur montant agrégé. La seule façon de faire baisser globalement le niveau de liquidité est de la transférer à un acteur extérieur au périmètre où on veut la diminuer. Il y a 3 possibilités :

  •   Transfert vers l’État

Cela peut être lié soit à une amélioration de la conjoncture qui améliore les recettes et permet une baisse des dépenses de l’Etat, soit à un durcissement unilatéral de la politique fiscale.

  •  Transfert vers l’extérieur

C’est ce qui se produit souvent lorsque la politique expansive est menée dans un seul pays : une bonne partie de la relance profite aux pays partenaires. L’excès de liquidité des acteurs privés part en achat de biens importés et finit donc sur les comptes dans d’autres pays, avec un effet dilutif. Les politiques de relance étant mondiales, il est peu probable que ce mécanisme joue.

  •  Transfert vers les banques / destruction des liquidités

Prenant acte de leur situation de trésorerie avantageuse, les acteurs privés peuvent renoncer aux emprunts qu’ils auraient normalement faits, voire en rembourser certains. Le résultat est un flux net de trésorerie vers les banques et donc une diminution du montant global de liquidité. On peut penser en particulier que les entreprises ayant fortement tiré sur les lignes de trésorerie vont en rendre une partie significative. Ce cash ne correspondait pas à une richesse supplémentaire, il faisait suite à une décision technique. Mais pour la part de cash provenant de transferts nets de l’État, l’allouer à l’épargne est-il justifié ?

Quelles évolutions pour les positions de financement net ?

Les positions de financement net sont un jeu à somme nulle : si un agent économique s’endette, c’est qu’un autre épargne. L’État joue le plus souvent un rôle d’ajustement.

On a, en notant EFN l’épargne financière nette :

EFN ménages+ EFN entreprises + EFN banques + EFN Etat + EFN reste du monde=0

Par exemple en 2009, la politique fiscale expansionniste américaine était nécessaire pour compenser le retour des ménages à une position de financement net plus réaliste, après les excès liés à la bulle immobilière.

C’est d’ailleurs généralement le rôle de la politique expansionniste de l’État en période de récession : compenser le « retrait » de l’acteur économique ayant dopé la croissance pendant l’expansion par des excès insoutenables (investissement résidentiel avant 2008, investissement entreprises avant 2000 ayant respectivement conduit à des niveaux anormalement bas de l’épargne financière nette des ménages et de l’épargne financière nette des entreprises).

Cette fois, et bien que le choc soit bien plus violent, il ne semble pas qu’un acteur ait commis des excès nécessitant un fort ajustement de sa position de financement net. À noter que la bonne tenue des marchés financier et immobilier rend peu probable un effet richesse négatif, qui pourrait amener les ménages à épargner davantage.

Cependant, si la politique expansionniste de l’État ne vient pas compenser un retrait du secteur privé, son effet entraînant sur l’économie va être d’autant plus grand.

Le risque est alors de trop pousser l’économie et de provoquer une surchauffe, conduisant in fine à une accélération de l’inflation.

Pourquoi ne pas annuler les dettes d’État détenues par la BCE ?

Une idée très en vogue est d’annuler les dettes d’Etat détenues par la BCE. Cela a-t-il du sens ? Quels sont les risques ?

Notons d’abord que ce n’est qu’un jeu d’écriture comptable et non une modification de la réalité. En annulant la dette, la BCE ferait une perte. Normalement, celle-ci devrait être comblée par les États, faisant réapparaître leur dette. Certains proposent que les États ne comblent pas cette perte et laissent les fonds propres de la BCE devenir négatifs. Remplacer de la dette par des fonds propres négatifs ne représente pas un assainissement de la situation de l’ensemble États+BCE. Cette situation aurait par ailleurs des conséquences négatives sur la crédibilité et l’indépendance de la banque centrale.

En fait, la question implicitement posée est la suivante : la dette des États est-elle vraiment un sujet dès lors que l’on peut via la BCE s’assurer de la refinancer à un taux bas, et ce de façon illimitée en montant et en durée ? L’exemple du Japon ne montre-t-il pas que le gouvernement peut s’endetter quasiment sans limites ?

La dette publique peut-elle croître sans limites et sans contrecoups ?

Pour faire ressortir les limites du raisonnement, le plus simple est de l’appliquer de façon exagérée. Imaginons que les États européens créditent demain les comptes bancaires de tous les ressortissants de la zone euro de 10 millions d’euros. Les ménages seront-ils tous réellement plus riches ? On sent bien que non. Ils ne seront pas tous propriétaires d’un grand appartement à Paris avec une résidence secondaire sur la Côte d’Azur et une Ferrari dans leur garage… Le stock de biens et services et d’actifs à acheter ne sera pas changé. Les prix des biens et des actifs vont donc s’ajuster et finalement, la richesse réelle globale n’aura pas changé. En revanche, l’euro sera durablement une devise faible, avec les conséquences négatives qu’on connaît.

Certains économistes avancent que, pour des montants modérés, on peut bénéficier des avantages de cette politique (une relance économique) sans les inconvénients (la dilution par l’inflation). Cela supposerait que les inconvénients ne sont pas proportionnels aux montants en jeu. Ils n’existeraient pas tant qu’on reste sous un niveau et ils n’apparaitraîent qu’au-delà. Cette non linéarité n’a malheureusement pas été prouvée et rien ne vient vraiment l’étayer. Mais même si elle était avérée, elle ne serait pas pour autant rassurante. Cela voudrait dire que les inconvénients de la hausse des dettes d’État peuvent se matérialiser d’un coup, lorsque l’on franchit un niveau que nous ne connaissons pas. Le risque n’est plus de subir le contrecoup des 20% de dettes que nous nous proposons de créer, mais celui des 80% créés depuis 40 ans… D’autant que le risque de fuite en avant est réel : si à un moment, la banque centrale doit commencer à relever ses taux pour juguler une inflation naissante et que le gouvernement émet encore des dettes pour payer les intérêts, il devient impossible d’enrayer la machine, à moins de mener une politique de rigueur.

L’argument de ces économistes est alors : rien ne permet de déceler le moindre début d’inconvénient, l’inflation reste contenue, nous pouvons donc profiter un peu plus de cette non linéarité et nous endetter un peu plus sans effet pervers… C’est tentant. Il est vrai que les pressions inflationnistes semblent aujourd’hui inexistantes.

Ce raisonnement suppose cependant deux choses. La première, c’est qu’il sera facile de revenir à une politique plus orthodoxe quand des premiers signes de pression inflationniste apparaîtront. La seconde, c’est que la détection de ces premiers signes ne se fera pas trop tard, l’inertie de l’inflation pouvant rendre difficile son contrôle, même si une politique fiscale plus orthodoxe est implémentée.

Pour la première, on peut en douter car revenir à un comportement plus orthodoxe impliquera un durcissement fiscal brutal d’autant plus difficile à accepter qu’il sera nouveau. Pour la seconde, il est impossible de répondre de façon certaine, mais dans un contexte où les relocalisations semblent constituer la pierre angulaire de nombreuses futures politiques économiques, il peut être dangereux d’espérer voir perdurer les pressions désinflationnistes produites depuis 30 ans par la mondialisation.

On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec l’amateur de whisky qui boit une bouteille par jour sans risque aucun : il fait une échographie de son foie tous les six mois et s’est promis d’arrêter de boire dès qu’un problème apparaîtra…

Si on ne retient pas l’idée que les dettes peuvent augmenter indéfiniment et qu’il convient donc de les résorber pour retrouver une marge de manœuvre pour une éventuelle future crise, comment cela peut-il se passer ?

Comment peut-on résorber les dettes publiques ?

La première étape est bien sûr de revenir à un déficit plus modéré pour commencer par arrêter le gonflement de la dette. Cela devrait se faire assez naturellement puisque les mesures de soutien prises actuellement sont très rarement des mesures permanentes. Que ce soient les mesures de chômage partiel ou les envois de chèques aux ménages, leur coût va disparaître une fois l’économie repartie.

Comment diminuer la dette ensuite ? Il y a en théorie trois solutions :

  • un durcissement de la fiscalité. Ce scénario ne nous semble pas probable à un horizon très court, les États voulant sans doute s’assurer avant que le redémarrage de l’économie est bien durable. La question se pose davantage pour la fin 2021 et après.

 

  • une amélioration spontanée liée à une conjoncture très favorable. Les mesures de relance exceptionnelles partout à travers le monde pourraient provoquer une forte accélération de l’économie, surtout si l’évolution épidémiologique surprend favorablement.

 

  • une dilution via une augmentation rapide du PIB nominal, elle-même liée à la politique fiscale et monétaire très accommodante.

À quoi s’attendre concrètement ? Y a-t-il en particulier un risque d‘un fort durcissement de la fiscalité ?

Comme nous l’avons dit, le retour à des déficits raisonnables – disons un déficit primaire inférieur à 2% du PIB – devrait se faire assez naturellement une fois l’économie repartie et les mesures de relance ponctuelles derrière nous.

Le risque de voir les gouvernements obligés de mettre en place des politiques de rigueur dures nous paraît très faible. En effet, il y a selon nous deux scénarios principaux :

  • la croissance nominale reste contenue malgré l’envolée actuelle des masses monétaires

La BCE n’a alors pas de raison de retirer son soutien et les États n’ont pas de pression pour diminuer à marche forcée leur dette.

  • La croissance nominale s’installe sur la durée (2-3 ans ?) sur un rythme supérieur à 6% par an.

La BCE va alors être poussée à adopter une politique moins accommodante et donc à diminuer ses achats de dettes d’État. Une remontée des taux d’intérêt sera inévitable mais elle n’impactera que progressivement le stock de dette, elle ne jouera que sur les nouvelles émissions (environ 12% du stock chaque année), et sera sans doute retardée comparée à l’accélération de la croissance nominale. Le ratio dette/PIB va mécaniquement diminuer. En effet, dans ce scénario de croissance nominale forte, le déficit primaire sera sans doute limité à 1% du PIB sans effort particulier. L’essentiel de la dette de l’État est à taux fixe, et à un taux moyen se rapprochant de 1% pour la France. La dette augmenterait donc en nominal d’environ 2%. Avec une croissance nominale du PIB de 6%, le ratio dette/PIB baissera alors de 4% par an, limitant la nécessité de durcir brutalement la politique fiscale.

Dans les deux cas, les États ne semblent pas contraints à un durcissement brutal de la fiscalité. Le vrai risque pour les agents privés n’est pas tant le risque d’un durcissement fiscal que le risque de voir leurs placements érodés par l’inflation. Le secteur privé est en effet structurellement créditeur. Il est donc le grand perdant en cas d’accélération de l’inflation. C’est d’ailleurs pour cela que les banques centrales sont indépendantes des gouvernements. Ces derniers, structurellement débiteurs, ne sont pas les gardiens les plus crédibles du contrôle de l’inflation.

Une nouvelle crise des pays dits périphériques est-elle à craindre ?

Les pays au cœur de la crise de la zone euro de 2011-2012 ont été parmi les plus touchés par le covid-19, en particulier l’Espagne et l’Italie. Cette dernière, avant même la crise actuelle, peinait à rétablir ses comptes publics et devait chaque année négocier avec la Commission Européenne pour éviter le déclenchement d’une procédure pour déficit excessif.

Comme le montre les estimations du (2)FMI, le niveau de dette de ces pays, déjà élevé, va encore fortement augmenter. La perspective du soutien de la BCE sera importante pour éviter toute nouvelle crise. La zone euro est en effet maintenant outillée pour éviter les envolées des spreads qui avaient pesé en 2011-2012, que ce soit via le Mécanisme Européen de Stabilité ou via la BCE et son programme (3)OMT. Les achats dans le cadre du (4)PEPP (programme lié à la pandémie) pourraient être également prolongés le temps de revenir à la normale.

Autre facteur positif pour ces pays, la création d’un fonds européen de relance, sous l’égide de la (5)Commission Européenne qui parle d’un montant de 750 Mds EUR, et dont les dépenses seront ciblées en fonction des besoins de chacun, constitue une bonne nouvelle. Les négociations sont en cours mais l’opposition des quatre « frugaux » reste assez limitée. L’adoption par l’Allemagne d’une position beaucoup plus constructive devrait contribuer à trouver un accord plus facilement.

On peut donc penser que le risque d’une nouvelle crise des pays périphériques est limité à court terme, car contrairement à 2011-2012, il n’y a pas de volonté de « punir » des pays mauvais gestionnaires de leurs finances publiques. Mais à plus long terme, sauf si une accélération de la croissance nominale permet de réduire le poids de la dette, ce sujet restera probablement à surveiller.

Conclusion

La crise du covid-19 constitue un choc majeur sur l’économie, mais aussi sur les déficits et les dettes publics. Les quantitative easing mis en place par les banques centrales apportent une solution à court terme. Le cocktail déficits publics / quantitative easing est puissant à court terme et ses limites sont assez éloignées mais il soulève cependant des questions, en particulier celle de l’impact possible sur l’inflation. Une accélération de celle-ci créerait un problème de crédibilité des banques centrales mais résoudrait en partie le problème de l’accroissement des dettes publiques. Cela ne serait pas pour autant une bonne nouvelle pour l’investisseur en obligations d’État qui verrait le pouvoir d’achat de ses investissements rogné par l’inflation. Ce risque nous paraît plus important que celui d’un durcissement brutal de la fiscalité. Il a l’avantage d’être plus facilement gérable : rien n’oblige un investisseur à investir en emprunt d’État à un taux proche de 0%.

 

 

Source : Lazard Frères Gestion, juillet 2020.

(1) BCE : Banque Centrale Européenne

(2) FMI : Fonds Monétaire International, a pour fonction d’assurer la stabilité du système monétaire international et la gestion des crises monétaires et financières.

(3) OMT : les Opérations Monétaires sur Titres sont un programme de la BCE au titre duquel la Banque centrale achète directement – sous certaines conditions – des obligations émises par des États-membres de l’Eurozone sur les marchés secondaires de la dette souveraine.

(4) PEPP : Programme d’achats d’urgence pandémique, plan d’achats de dettes sur les marchés visant à faire baisser les coûts de financement des États, des entreprises et des ménages.

(5) Commission Européenne : branche exécutive de l’Union européenne, politiquement indépendante, elle est chargée d’élaborer des propositions législatives et met en œuvre les décisions du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne.

L’opinion exprimée ci-dessus est à jour à date de cette présentation et est susceptible de changer.  

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