États-Unis : Un shutdown parti pour durer

Cela fait maintenant deux semaines que les États-Unis font face à un « shutdown » de l’administration fédérale. Concrètement, cela signifie qu’en l’absence de vote des crédits budgétaires pour l’année fiscale qui vient de commencer le 1er octobre, un certain nombre de départements gouvernementaux ont dû cesser leur activité et ne pourront les reprendre qu’une fois les crédits votés. Pour ce faire, une majorité simple est suffisante à la Chambre des Représentants, mais 60 votes sur 100 doivent être recueillis au Sénat. Les Républicains sont donc dépendants des Démocrates. Historiquement, ces derniers ont généralement préféré éviter les périodes de shutdown, mais le climat politique actuel les incite à adopter une position dure vis-à-vis du gouvernement en place.

 

Un impact économique généralement limité

Il faut d’abord garder à l’esprit que toutes les actions de la sphère publique ne sont pas mises à l’arrêt par le « shutdown ». Rappelons que la dépense fédérale ne représente que 54% de la dépense publique totale américaine1. De plus, toute la dépense fédérale n’est pas concernée. En effet, si les dépenses fédérales représentent 23% du PIB au total, 6,4% d’entre elles sont concernées par le « shutdown ». Il s’agit des dépenses dites discrétionnaires, pour lesquels un budget doit être voté pour autoriser la dépense. Le solde est représenté par les dépenses « obligatoires », pour l’essentiel les dépenses de protection sociale comme Medicare, Medicaid ou les retraites de la sécurité sociale, dont les dépenses sont automatiques et dépendent de règles d’éligibilité et de formules de calcul définies par la loi. La charge d’intérêt s’ajoute à ces dépenses.

Plus précisément, sur les 6,4% de dépenses discrétionnaires, les activités jugées essentielles sont maintenues. Il s’agit notamment du maintien de l’ordre, de la protection des frontières, des soins hospitaliers, du contrôle aérien. Ces activités se poursuivent mais les salaires ne sont pas payés. Les personnes employées pour les autres fonctions du gouvernement sont mises au chômage technique. Le nombre de personnes concernées est estimé à 800 000.

L’impact économique d’un shutdown est généralement estimé à 0,1% de PIB en moins par semaine de shutdown. Cet impact économique se décompose en deux parties : la contribution directe au PIB de la production de service public et l’impact de second tour sur la consommation des fonctionnaires. Ce deuxième effet est historiquement limité et le premier est partiellement rattrapé sur les semaines suivantes. C’est d’ailleurs pour cela que les marchés ont historiquement peu réagi aux précédents shutdowns.

L’actuel « shutdown » sera-t-il différent ?

Le faible impact sur la consommation précédemment évoqué s’explique par le fait que les fonctionnaires ont toujours récupéré le salaire non perçu durant le shutdown dès qu’une résolution de financement a été votée. Lors du shutdown de 2013, qui a duré 16 jours, 2,5 milliards de dollars d’arriérés de salaire avaient ainsi été payés. Ce principe a été entériné par une loi en 2019, mais l’administration Trump conteste la validité de ce texte et considère qu’il ne s’applique qu’aux employés des fonctions essentielles. Selon cette interprétation du texte, un vote au Congrès serait nécessaire pour les autres fonctionnaires. Par ailleurs, Russel Vought, le directeur du budget, utilise le shutdown actuel pour supprimer définitivement des postes dans l’administration et pour suspendre le paiement d’aides fédérales aux investissements déjà votés par le Congrès. Sont notamment concernés les projets liés à l’environnement et ceux associés à des circonscriptions démocrates.

L’impact économique pourrait donc être cette fois un peu plus important que par le passé. Par ailleurs, le shutdown a suspendu la publication de toutes les données économiques officielles, limitant la visibilité sur la trajectoire de l’économie américaine.

Combien de temps cette situation va-t-elle durer ?

À la Chambre des Représentants, les Républicains ont voté une résolution de continuation qui finance les administrations concernées jusqu’au 21 novembre sur la base du budget précédent. Argument ainsi avancé : disposer du temps nécessaire pour négocier avec les Démocrates un accord plus substantiel et pérenne. À huit reprises, les Démocrates ont refusé d’apporter au Sénat les voix suffisantes pour atteindre les 60 votes, considérant comme préalables aux discussions :

  • l’abandon des baisses de dépenses de Medicaid votées dans le One Big Beautiful Bill ;
  • l’extension des crédits d’impôts qui aident les ménages américains à payer les cotisations de leur assurance santé dans le cadre de l’Obamacare, ces crédits s’éteignant à la fin de l’année.

Pour l’instant, les deux partis restent campés sur leurs positions. L’administration Trump semble avoir trouvé les moyens de payer les militaires au 15 octobre, ce qui réduit nettement la pression pour trouver un accord rapide. Des discussions auraient lieu entre des sénateurs des deux partis sur les budgets annuels et la question des subventions pour l’Obamacare, mais elles n’incluent pas les leaders des deux partis et semblent donc peu prometteuses. John Thune, chef de la majorité républicaine, a annoncé que le parti pourrait tenter de faire voter des textes finançant certains ministères comme la Défense. S’il s’est dit prêt à négocier, Donald Trump ne s’est pour l’instant pas impliqué dans les discussions.

Au vu de la situation politique actuelle, la probabilité que ce shutdown dure encore et devienne l’un des plus longs de l’histoire américaine semble élevée.

Conclusion

À ce stade, les marchés financiers prennent en compte l’impact historiquement modéré de ce type de blocage budgétaire et semblent peu affectés par la situation. D’autres facteurs comme la question des droits de douane jouent sans doute davantage. Toutefois, en cas de prolongement du shutdown au-delà d’un mois, d’une augmentation des suppressions de postes de fonctionnaires ou de renoncement au paiement des arriérés de salaires, l’impact pourrait être plus fort et provoquer davantage de nervosité sur les marchés.

En l’absence des données publiées par les agences statistiques officielles, les économistes vont se concentrer sur les enquêtes. Ce manque de données devrait également inciter la Fed à rester prudente et à s’en tenir à une baisse de son taux directeur de 0,25% lors de la réunion du 29 octobre.

À long terme, l’administration américaine semble vouloir utiliser cette occasion pour renforcer les pouvoirs exécutifs et cet épisode constitue un exemple supplémentaire des conséquences de la polarisation extrême vis-à-vis de la gestion des finances publiques américaines.

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Rédaction achevée le 16 octobre 2025. Ce document n’a pas de valeur précontractuelle ou contractuelle. Il est remis à son destinataire à titre d’information. Les analyses et/ou descriptions contenues dans ce document ne sauraient être interprétées comme des conseils ou recommandations de la part de Lazard Frères Gestion SAS. Ce document ne constitue ni une recommandation d’achat ou de vente, ni une incitation à l’investissement.

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LEXIQUE

BCE : Banque Centrale Européenne.

Fed : La réserve fédérale des Etats-Unis, soit la banque centrale des Etats-Unis.

PIB : Le produit intérieur brut est l’indicateur économique qui permet de quantifier la valeur totale de la « production de richesse » annuelle effectuée par les agents économiques résidant à l’intérieur d’un territoire.

Indices PMI : Les indices PMI (Purshasing Manager’s Indices) sont des indicateurs de confiance qui synthétisent les résultats des enquêtes menées auprès des directeurs d’achats des entreprises.    Une valeur supérieure à 50 indique un sentiment positif, tandis qu’une valeur inférieure à 50 indique un sentiment négatif.

PE (ou P/E, PER) : Le price-earnings ratio correspond au rapport entre capitalisations boursières et profits des entreprises. Cet indicateur est notamment utilisé en analyse financière pour évaluer la valeur d’un titre par rapport aux sociétés du même secteur.

€STER (Euro short-term rate) : taux interbancaire au jour le jour des banques de la zone euro (marché monétaire).

Prime de risque (actions) : la prime de risque des actions traduit le supplément de rendement offert par les marchés actions par rapport au « taux sans risque » des marchés obligataires (en général : taux des emprunts souverains à 10 ans). Ce rendement supplémentaire rémunère l’investisseur pour sa prise de risque.

Obligations High Yield : ces titres obligataires, également appelées à « haut rendement », sont des titres obligataires de nature spéculative dont la notation est inférieure à BBB- chez Standard & Poor’s ou Baa3 chez Moody’s. Ils proposent un rendement plus élevé en contrepartie d’un niveau de risque également plus élevé.

Spread de crédit : correspond à l’écart de rendement d’une obligation avec celui d’un emprunt « sans risque » de même maturité. Le terme « spread » désigne donc un « écart de taux » ou « différentiel de taux ». Plus la solvabilité de l’émetteur est perçue comme bonne, plus faible est le spread.

L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de septembre 2024 et est susceptible de changer. Données les plus récentes à la date de publication.

 

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