Les quatre peurs du marché

La violence de la correction actuelle sur les marchés (-16% sur l’Euro Stoxx depuis le début d’année(1)) a pris de nombreux acteurs par surprise, nous y compris. Face à ce genre de mouvements, notre réponse est d’essayer de comprendre les craintes des marchés et de voir si celles-ci sont justifiées. Rien ne serait plus dommageable pour la performance de long terme des portefeuilles que de vendre après une forte baisse et passer à côté d’un éventuel rebond si ces craintes se révèlent infondées.

Quelles sont les craintes des marchés ? Celles-ci semblent se succéder à un rythme effréné, nourrissant toujours plus le pessimisme des investisseurs. Ce fut d’abord la Chine, puis le pétrole et maintenant la conjoncture américaine et la stabilité du système financier. Déboussolés, les investisseurs ont porté la corrélation entre les marchés actions et le prix du pétrole à un niveau inédit. Les marchés réagissent comme si nous étions à l’aube d’un nouveau 2008. Mais si l’on prend le temps d’analyser la situation, il apparaît que nous sommes davantage face à un accès de panique des marchés que face à une vraie dégradation des fondamentaux.

Peur 1

1.La croissance chinoise va-t-elle s’effondrer en 2016 ?

La psychologie du marché a commencé à devenir plus négative l’été dernier avec la décision de la banque centrale chinoise (la PBoC) de modifier le mode de fixing de la parité du yuan et du dollar, afin de rendre la devise chinoise plus représentative des conditions de marché. Le mouvement a été interprété, à tort, comme le début d’une dévaluation compétitive ouvrant la voie à une nouvelle guerre des changes. Selon nous, cette décision s’inscrit avant tout dans la volonté chinoise d’internationaliser le yuan et de faire de celui-ci une des principales devises du système monétaire mondial que les autorités du pays souhaitent plus stable (Cf. graphique de la semaine «  La devise chinoise affole les marchés »). Plusieurs estimations montrent un impact relativement faible du change sur la croissance chinoise.

L’économie chinoise est-elle au seuil d’une nouvelle récession ? Nous ne le pensons pas. La consommation prend progressivement le relais des autres postes de la demande, ce qui implique nécessairement un ralentissement de la croissance du pays. De quels déséquilibres souffre l’économie chinoise ?

Sans doute d’un excès passé d’investissement dans l’immobilier et dans certains secteurs industriels, où les capacités de production sont maintenant trop importantes : aluminium, acier etc. Un recours excessif à l’endettement pour financer ces investissements a aussi entrainé des fragilités dans le secteur financier.

Dans l’immobilier, les ajustements sont en cours. Certains signes sont encourageants comme le rebond des prix dans les villes de première catégorie. Concernant les surcapacités de production, le gouvernement a annoncé le 22 janvier qu’il faisait de leur réduction son objectif prioritaire pour 2016. Quant aux problèmes du secteur financier, les banques chinoises disposent de capacités pour absorber les prêts non performants (RoE d’environ 20%).

L’objectif pour le gouvernement chinois est d’accompagner le ralentissement en cours. Pour cela il assouplit depuis un an sa politique monétaire et met en place des mesures ciblées pour dynamiser certains secteurs de l’économie. Par exemple, en septembre, les taxes sur les voitures ont été baissées, ce qui a entrainé une forte progression des ventes.

Cette politique a prouvé depuis 3 ans son efficacité. La croissance chinoise devrait donc continuer à ralentir progressivement, de manière maitrisée selon nous.

2.La baisse du prix du pétrole est-elle une mauvaise nouvelle pour l’économie mondiale ?

Début 2015, les simulations du FMI montraient une nette accélération de la croissance grâce aux effets bénéfiques de la baisse du prix du pétrole qui revient à un transfert de revenu d’agents à faible propension marginale à consommer (pays exportateurs de pétrole) vers des agents à plus forte propension marginale à consommer (ménages américains et européens). Par rapport aux cycles précédents, les investissements dans l’exploitation pétrolière ont été coupés de manière beaucoup plus brutale, ce qui a concentré les impacts négatifs sur un horizon de temps très court. Au vu de l’évolution récente de l’investissement dans ce secteur, il est probable que nous soyons proches du terme de la correction. Par ailleurs, les ménages américains n’ont pas encore transféré la totalité des gains de pouvoir d’achat dans la consommation. Les effets de la baisse du prix du pétrole devraient donc maintenant se faire sentir principalement dans leur dimension positive.

Une crainte récente est que la baisse des prix sur les 6 derniers mois soit le signe d’une faiblesse de la demande, elle-même due à un ralentissement économique. Cette crainte nous semble totalement infondée. La demande, loin de ralentir, est en accélération constante depuis 2 ans. Elle croît aujourd’hui au rythme le plus rapide depuis 2010. Si les prix ont encore baissé après une phase de stabilisation durant l’été, c’est uniquement le fait d’un envol de la production (Cf. graphique de la semaine « Le pétrole sous les 40 USD le baril »). D’un côté la production américaine de pétrole de schiste résiste bien mieux qu’attendu à la chute des prix, de l’autre, l’Arabie Saoudite, pour des raisons stratégiques et de préservation de sa part de marché, n’a pas voulu jouer son rôle de stabilisateur et a maintenu un niveau élevé de production.

La baisse des prix du pétrole n’est en rien le signe d’un ralentissement conjoncturel selon nous. Elle porte au contraire en elle le germe d’une ré-accélération prochaine de l’économie mondiale, tirée par un rebond de la consommation des ménages.

3.Va-t-on vers une récession américaine ?

Dans un contexte où les investisseurs sont déboussolés, la dégradation aux États-Unis des indices ISM manufacturier, puis non-manufacturier, ainsi que de mauvais chiffres de commandes de biens d’investissement ont amené de nombreux commentateurs à diagnostiquer une entrée en récession de la première économie mondiale, avec les conséquences que l’on peut imaginer pour le reste de la planète. Ce scénario nous semble très peu probable. La faiblesse actuelle de l’économie américaine s’explique essentiellement par deux choses : le cycle de stockage et la correction de l’investissement lié au pétrole de schiste (Cf. graphique de la semaine « Investissement des industries extractives : ajustement importants aux États-Unis »). Au-delà de ces deux aspects, l’économie américaine est en forme.

Concernant le cycle de stockage, il est probable que la prochaine estimation du PIB fasse ressortir un niveau de stockage proche de 50Mds$ annualisés au quatrième trimestre, contre plus de 110Mds$ au deuxième trimestre. Si cet ajustement a pesé fortement sur le secteur manufacturier durant la deuxième moitié de l’année 2015, il est sans doute proche d’être achevé. Un rythme de stockage de 50Mds$ est en effet tout à fait normal aux États-Unis en période de croissance.

La correction de l’investissement dans les industries extractives a déjà ramené celui-ci sur ses points bas historiques (1987, 1999, 2009). Aujourd’hui, ces activités ne pèsent plus que 0,4% du PIB et le secteur pétrolier et gazier ne représente que 0,2% des emplois. Pas plus qu’en 1986-1987, ce secteur ne peut entraîner l’économie américaine en récession. Le plus probable est donc que ces deux facteurs cessent de peser dans les prochains mois et que la croissance s’accélère durant l’année à venir.

Le reste de l’économie américaine se porte bien, comme en témoignent les chiffres de l’emploi. Ainsi, le nombre d’ouvertures de postes a nettement rebondi en décembre. Historiquement, ces chiffres ont eu tendance à se dégrader en amont des récessions. La hausse des inscriptions hebdomadaires au chômage sur les dernières semaines constitue la seule zone de faiblesse concernant l’emploi. C’est sans doute le principal point à surveiller, mais le plus probable est que cette hausse soit temporaire et due à sa nature très volatile.

Reste la question du crédit, certains promettant un choc de l’ampleur de la crise de 2008, provoqué cette fois non pas par les subprimes mais par les prêts au secteur pétrolier. Force est de constater que l’exposition des banques n’a rien à voir en montant et en nature. Les prêts au secteur de l’énergie représentent 2% de l’encours des prêts bancaires, là où les prêts immobiliers représentaient 40%. Le problème est donc essentiellement un problème obligataire. Et c’est là que la différence de nature intervient. Via les titrisations, les prêts immobiliers avaient été transformés en actifs réputés sans risque. Dans le cas présent, les obligations émises par les sociétés d’exploration pétrolières n’ont pas été transformées. Leur présence dans les indices high yield montre clairement qu’il n’y a pas eu de tromperie sur la marchandise. De manière plus prospective, les conditions d’octroi de crédit se sont effectivement tendues pour les entreprises privées, mais dans des proportions très raisonnables et les données ne permettent pas de distinguer ce qui concerne spécifiquement le secteur de l’énergie du reste. En revanche, les conditions sont toujours assouplies pour les prêts hypothécaires de bonne qualité. Il est donc peu probable que l’économie américaine soit à l’aube d’un nouveau credit crunch.

Pour résumer, nous pensons que la croissance, loin d’entrer en récession, devrait accélérer à nouveau aux États-Unis sur les prochains mois.

4.Les banques européennes vont-elles connaître un nouveau 2008 ?

Le secteur bancaire européen a particulièrement souffert en bourse sur les derniers mois, sous-performant nettement les grands indices dans la correction récente.

Les craintes liées au choc pétrolier ont entrainé un fort élargissement des spreads sur le segment des obligations à haut rendement, ravivant les craintes de pertes considérables pour le système bancaire européen. Dans le même temps, les taux longs ont baissé, en Europe comme aux États-Unis, réduisant ainsi la perspective de marges d’intérêts.

En conséquence, les « Credit Default Swap(2) » (CDS) des banques européennes se sont fortement dégradés, laissant planer des doutes sur leur capacité à refinancer leurs financements de marché dans de bonnes conditions.

Mais à ce stade, il ne s’agit encore que de perception car dans l’intervalle, le système bancaire européen n’a que peu changé. Il ne nous semble pas plus risqué qu’il ne l’était en 2015. Le choc pétrolier pourrait réduire la profitabilité à court terme pour les banques, avant qu’elles n’en retirent des bénéfices à moyen terme. La baisse du coût de l’énergie est en effet une bonne nouvelle macroéconomique. D’après nos estimations, le secteur bancaire européen est exposé à 28 Mds€ de pertes dans un scénario extrême (en supposant un taux de perte de 50% sur les segments les plus risqués et avec un taux de recouvrement nul). Si pareil montant de perte était concentré sur 2016, il serait suffisant pour amputer de 25% la capacité bénéficiaire du secteur. L’impact sur les fonds propres durs serait lui inférieur à 3%.

Ceci n’est pas négligeable, mais sans commune mesure avec les pertes connues en 2008 lors de la crise des subprimes et ne justifie pas les mouvements de panique actuels selon nous.

Conclusion

Peur 2

Ces craintes nous semblent trouver leur source davantage dans les mouvements même de baisse du marché que dans la réalité des données fondamentales. Comme on a coutume de le dire, ce sont « les cours qui font les opinions ». Face à des marchés en forte baisse, il est en effet naturel de chercher une explication rationnelle et donc des scénarios noirs. Pour autant, les marchés ne sont pas toujours rationnels, et ils le sont peut-être moins aujourd’hui qu’hier. Ceci est lié selon nous à la diminution du nombre d’investisseurs de long terme capables de prendre des positions contrariantes dans les marchés en baisse, et au développement des gestions de type momentum et des systèmes de coupe, qui en vendant lors des phases de baisse, accentuent les mouvements.

Malgré ce début d’année chahuté sur les marchés, nous réitérons notre scénario économique d’une année 2016 finalement assez proche de 2015, avec un niveau correct de croissance mondiale, tirée essentiellement par les économies développées.

Nous restons exposés aux actifs risqués, principalement les actions de la zone euro. Nous pensons enfin qu’une fois le calme revenu, la Réserve Fédérale va poursuivre la normalisation de sa politique monétaire, ce qui pèsera sur les actifs obligataires.

 

Matthieu Grouès Directeur des Gestions, avec la contribution de Julien-Pierre Nouen, analyste-stratégiste et Scander Bentchikou, analyste des valeurs financières

 

 

 

 

(1) Au 9 février 2016. L’opinion exprimée ci-dessus est datée du mois de février 2016 et est susceptible de changer

(2) Credit Default Swap = coût de l’assurance contre un risque de défaut.

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