PATRIMOINE | Lettre de la Gestion Privée | 3ème trimestre 2023


La 1ère chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mai dernier, est venue rappeler que la remise d’une somme d’argent, par un parent à un enfant, ne peut recevoir la qualification de présent d’usage qu’à la condition que la somme d’argent ait été remise à l’occasion d’un évènement particulier.

Dans l’affaire examinée par la Cour de cassation, une mère avait remis à son fils des sommes d’argent sous forme d’espèces, de chèques ou de virements. Lors du décès de la mère, le fils n’a pas rapporté à la succession les sommes reçues. Sa sœur a contesté cette absence de rapport.

La Cour d’appel avait rejeté la demande de rapport formulée par la sœur à l’encontre de son frère. La Cour avait estimé que les sommes reçues par le frère étaient compatibles avec les capacités financières de la mère et constituaient des présents d’usage. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel. Elle relève qu’il ne peut y avoir de présent d’usage qu’à l’occasion d’un évènement particulier pour lequel il est usuel d’offrir un cadeau.

Cet arrêt de la Cour de cassation nous fournit l’occasion de rappeler les règles à respecter pour que la remise d’une somme d’argent ou d’un objet puisse être qualifiée de présent d’usage.

Au plan civil, l’article 843 du Code civil prévoit que « tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt ». Cette règle du rapport à succession est destinée à assurer l’égalité entre les héritiers. Elle est applicable aux donations comme aux dons manuels.

En revanche, certaines dépenses faites par le défunt au bénéfice de ses héritiers n’ont pas à être rapportées par ces derniers. En effet, l’article 852 du Code civil dispose que « les frais de nourriture, d’entretien, d’éducation, d’apprentissage, les frais ordinaires d’équipement, ceux de noces et les présents d’usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant ».

La remise d’un objet ou d’une somme d’argent à titre de présent d’usage n’est donc pas rapportable civilement à la succession de l’auteur du cadeau et ne sera par conséquent pas taxable fiscalement.

Pour qu’il en soit ainsi, il faut que la remise de l’objet ou de la somme d’argent ait lieu à l’occasion d’un évènement particulier pour lequel il est usuel de faire un cadeau ; anniversaire, Noël, mariage, réussite à un examen. La remise d’un objet ou d’une somme d’argent hors de tout évènement particulier ne peut constituer un présent d’usage. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans son arrêt de mai dernier, dans la droite ligne de ses arrêts antérieurs.

Une autre condition pour que la remise d’un objet ou d’une somme d’argent puisse être considérée comme un présent d’usage et non comme un don manuel est que sa valeur soit proportionnée à la situation patrimoniale de l’auteur du cadeau.

En effet, le présent d’usage n’est pas rapportable à la succession de l’auteur du cadeau et n’est pas taxable fiscalement parce qu’il ne constitue pas une libéralité et n’entraîne pas d’appauvrissement de ce dernier.

Ce principe est posé par l’article 852 du Code civil qui dispose dans son deuxième alinéa que « le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti et compte tenu de la fortune du disposant ».

Il résulte de ce principe que plus une personne est fortunée plus elle peut faire des cadeaux importants sans s’appauvrir et donc sans que cela constitue une libéralité rapportable civilement et taxable fiscalement.

En se fondant sur ce principe de proportionnalité, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 11 avril 2002 a considéré que des chèques de 100 000 francs (15 000 € environ) remis par une mère à chacun de ses deux fils à l’occasion des fêtes de Noël, pour eux et pour leur famille respective, constituaient des présents d’usage compte tenu de sa fortune. Dans cette même affaire, en première instance, les juges du Tribunal de Grande Instance de Paris avaient considéré que les chèques remis par la mère à chacun de ses fils pouvaient être considérés comme des présents d’usage à concurrence de 30 000 francs (4 500 € environ) mais devaient être regardés comme des dons manuels pour le surplus.

Malheureusement, l’examen de différentes jurisprudences rendues à l’occasion de contentieux entre héritiers ou avec l’administration fiscale ne permet pas d’établir une règle de proportionnalité claire par rapport aux revenus ou à la
fortune de l’auteur du présent d’usage. Dans l’affaire précitée, les chèques remis par la mère à ses fils représentaient 2,4 % de son patrimoine. Cela a paru excessif aux juges de première instance mais pas à ceux de la Cour d’appel.

L’administration fiscale ne fixe pas davantage de principe de proportionnalité. Elle indique au contraire dans une décision de rescrit en date du 3 avril 2013 que « la qualification de présent d’usage pour un cadeau consenti résulte (…) d’un examen des circonstances concrètes de chaque affaire, incompatible avec l’application de critères normatifs préétablis ».

Ajoutons qu’il semble résulter d’une jurisprudence de la Cour de cassation que le principe de proportionnalité entre la fortune de celui qui fait le cadeau et la valeur de celui-ci n’est pas sans limite. En effet, dans un arrêt du 6 décembre 1988, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation retient que « les présents d’usage, qui échappent aux règles des donations sont des cadeaux faits à l’occasion de certains évènements, conformément à un usage et n’excédant pas une certaine valeur » sans faire référence à la situation patrimoniale de l’auteur du don litigieux.

Au total, il est clair que la remise d’un objet ou d’une somme d’argent hors de tout évènement particulier ne peut constituer un présent d’usage. En revanche, il est plus difficile de fixer une limite en valeur ou en proportion de la fortune de l’auteur du cadeau, en-deçà de laquelle la remise d’un objet ou d’une somme d’argent constituerait un présent d’usage, et au-delà de laquelle elle constituerait une libéralité rapportable et taxable.

En cas de contentieux, il appartiendra au juge d’apprécier si le cadeau fait à l’occasion d’un événement particulier constituait un présent d’usage ou si au contraire, compte tenu de son importance, il a généré un appauvrissement du donateur et doit être qualifié de don manuel.

Pour ce faire, le juge devra se placer à la date où le cadeau a été fait comme cela a été rappelé par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 10 mai 1995.

Dans cette affaire, la Cour de cassation a confirmé un arrêt d’appel qui avait considéré que la remise par un père à sa fille de 8 aquarelles d’une valeur globale de 70 000 francs (11 000 € environ) à l’occasion du mariage de cette dernière en 1975 constituait, compte tenu de la fortune du père et de leur valeur à cette date, un présent d’usage quand bien même 7 des 8 aquarelles avaient été vendues par la fille, 10 ans après son mariage, pour un prix de 5 620 000 francs (860 000 € environ).

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Voir aussi : https://latribune.lazardfreresgestion.fr/economie-lettre-de-la-gestion-privee-3eme-trimestre-2023/

L’opinion exprimée ci-dessus est datée du 20 juillet 2023 et est susceptible de changer.

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