Taux de change et investissement

Régis de Villiers et Romain Fournier-Bourdier, Gestionnaires Privés, décodent pour vous le rôle des devises dans l’économie et leur impact sur votre patrimoine.

Quels sont les déterminants des taux de change ?

Le taux de change d’une monnaie se définit comme le prix d’une monnaie exprimée dans une autre. Celui-ci est déterminé de manière continue sur le marché des changes par la confrontation de l’offre et de la demande pour cette monnaie. Nous sommes majoritairement aujourd’hui dans un régime de change flottant. Ce système se caractérise par la liberté d’évolution des taux de change sur les marchés financiers.

Toutefois, la variation d’un taux de change est animée par de nombreux déterminants économiques :

– La croissance économique : un pays ayant une croissance élevée attire de nombreuses transactions, entrainant une hausse de la demande de monnaie et ainsi, mais pas toujours, une appréciation du taux de change.

– L’inflation anticipée : cette variable influe sur la parité des pouvoirs d’achat. La théorie stipule que le prix d’un bien exprimé en devises étrangères doit être le même qu’en devise nationale. Par conséquent, un pays présentant une inflation grandissante verra son taux de change se déprécier.

– Le solde courant : cet agrégat économique témoigne des déséquilibres des échanges d’un pays avec le reste du monde. Un excédent courant implique normalement une appréciation du taux de change et inversement en cas de déficit courant. Sur le long terme c’est dans doute ce facteur qui influence le plus les parités d’une devise : les déficits courants témoignent d’une consommation qui excède la production d’un pays ; un pays qui consomme plus qu’il ne produit s’appauvrit par rapport aux autres puisque c’est la production vendue qui fait la richesse. Pour payer ses fournisseurs le pays déficitaire émet donc plus de monnaie que la croissance de sa propre production ne l’exigerait et celle-là finit donc par se déprécier.

Dans le même temps, on constate aussi l’influence de facteurs financiers ou psychologiques dans l’évolution des parités de change, surtout à court terme. On peut notamment évoquer :

– Le différentiel de taux d’intérêts : de plus en plus d’acteurs interviennent sur le marché des changes en réalisant des arbitrages entre les niveaux de rémunération offerts par les différents pays et leurs banques centrales. Ainsi, la devise avec la rémunération la plus élevée voit son cours de change s’apprécier.

– La liquidité du marché de la devise concernée et son statut : s’agit-il d’une monnaie de réserve comme le dollar américain, et/ou d’une monnaie d’échange

– Les interventions des banques centrales : cette variable a pris un poids considérable depuis la crise financière de 2008 où l’ensemble des banques centrales dans le monde ont été dans l’obligation de mettre en place des politiques monétaires de soutien quantitatif. Par ailleurs, on a pu constater l’intervention directe de certaines banques centrales dans la détermination de leur taux de change à l’image de la Banque de Chine (indexation à un panier de devises) ou de la Banque Nationale de Suisse (fixation d’un cours de change maximum, abandonné en janvier 2015).

 

– Le risque politique : par exemple, l’euro a été sous pression pendant la crise des dettes souveraines européennes en 2011 qui laissait entrevoir une possible dislocation de la zone euro.

– La notion de valeur refuge : la devise n’est plus considérée comme une monnaie d’échange mais comme un actif de protection à l’image du Dollar Américain, ponctuellement, ou du Franc Suisse, plus durablement.

Ces multiples facteurs économiques et financiers, politiques et psychologiques, de long terme et de court terme contraignent l’investisseur à une grande prudence dans ses prévisions de taux de change et donc à agir avec précaution.

Comment intégrer le risque de change dans une stratégie d’investissement ?

La première des précautions est de considérer la position de change de l’investisseur : un investisseur privé mesure son patrimoine et évalue ses investissements et leurs performances dans une devise qui est généralement celle du pays dans lequel il réside car l’essentiel de ses charges et revenus est également libellé dans cette devise.

Il est donc primordial de bien prévoir la devise de son train de vie futur, de ses passifs et projets éventuels, domestiques ou à l’étranger. Il est également nécessaire d’évaluer la solidité de l’économie de son pays de résidence, et particulièrement de ses comptes courants dont les déficits chroniques peuvent conduire à la dépréciation de sa devise.

De plus, en tant qu’investisseurs professionnels, la diversification de nos investissements dans des classes d’actifs et des secteurs variés est une règle de base de réduction des risques. A ce titre, l’investissement en devises pourrait ainsi être considéré comme une source de diversification. Celle-ci serait d’autant plus efficace que les devises utilisées sont peu corrélées entre elles, étant entendu que les corrélations observées ne sont pas stables dans le temps. Cependant, cette diversification n’est pas toujours source de rémunération en tant que telle car cette dernière dépend du différentiel de rendement monétaire. Par ailleurs, la valorisation relative des devises reste spéculative par nature car elle ne se détermine pas en fonction d’un rendement futur ou d’une quelconque création de valeur, mais en fonction des déterminants décrits ci-dessus.

En réalité, la diversification en devises pures introduit une source de volatilité supplémentaire dont la rémunération est incertaine et difficilement estimable. Ainsi, l’évolution des devises peut avoir un impact important sur les rendements à court terme d’un portefeuille mais celui-ci tend à se dissiper sur plus longue période.

Faut-il couvrir ce risque de devise pour autant?

La réponse est différente en fonction des classes d’actifs considérées (actions ou obligations).

A court terme, les taux de change peuvent induire de grandes différences de rendements entre un indice actions converti en euros et le même indice couvert. Toutefois, on peut constater que sur une longue période, ces écarts ont tendance à s’annuler.

 

Ce phénomène est assez logique car l’évolution des devises et des actions fonctionne comme des vases communicants. Lorsque l’euro se renforce, la valeur des entreprises européennes, va être ponctuellement impactée par la perte de change sur les bénéfices en devises dépréciées. Il faut toutefois distinguer dans le cas des entreprises le risque d’exposition du risque de conversion :

Le risque d’exposition concerne une entreprise qui a des revenus dans une devise étrangère et des coûts dans une autre, souvent sa devise domestique. Par exemple, LVMH a des revenus en dollar et en yen du fait de ses ventes en Amérique et en Asie, mais a des coûts de production importants en euros : Cognac et Champagne, ou articles de Luxe (Louis Vuitton, Fendi etc.). Toutes choses égales par ailleurs, la baisse du dollar ou du yen vient réduire les revenus qui doivent couvrir ses coûts en euros, risquant de détériorer sa rentabilité. Les entreprises ainsi exposées mettent en œuvres des politiques de couverture souvent complexes réduisant les effets de change brutaux et leur permettant ensuite d’ajuster leur politique de prix dans les pays concernés pour maintenir leur rentabilité.

Les risque de conversion concerne les entreprises qui ont des revenus et des coûts dans une devise étrangère. Par exemple, Sodexo dans la restauration collective est leader aux USA, et ses coûts sont essentiellement des salaires et des approvisionnements locaux. Lorsque que le groupe convertit en fin d’année les comptes de sa filiale américaine, les revenus, les coûts et les bénéfices de celle-ci sont affectés en proportion de la baisse (ou de la hausse) du dollar, mais sa rentabilité locale n’a pas changé, c’est la valeur de sa filiale exprimée en euros qui a baissé (ou monté).

Bien souvent les risques d’exposition et conversion sont mêlés et se cumulent. Aussi, l’investissement en entreprises cotées internationales comporte donc indirectement une diversification en devises. La mise en place et le portage d’une couverture n’étant pas sans coût, l’investissement dans un actif libellé en devise non domestique mais couvert, devra être justifié par un surcroît de performance attendue.

Contrairement aux actions, les obligations et les devises ne se comportent pas de manière aussi imbriquée. Ainsi, au sein d’un portefeuille composé d’obligations peu volatiles (i.e. ratings élevés et/ou maturités courtes), le risque de change devient prépondérant. C’est pour cette raison qu’on observe une volatilité inférieure pour un portefeuille obligataire dont le risque de change est couvert par rapport à un portefeuille sans couverture de change. Ainsi, nous couvrons généralement nos expositions obligataires.

En pratique, pour nos investissements en actions, nous considérerons une exposition neutre à une devise en couvrant 50 % des investissements dans ladite devise. Mais, une analyse concluant à un avis négatif sur une devise pourra nous amener à une couverture supérieure, voire totale, de l’exposition et inversement dans le cas d’anticipations favorables.

En conclusion, la diversification en devises pures comme stratégie d’investissement ne nous paraît pas être optimale dans la mesure où elle amène de la volatilité à court terme et peu voire pas de surperformance à long terme ; elle est utilisée avec parcimonie dans notre gestion de portefeuilles. En effet, les choix d’allocation en devises doivent avant tout rester cohérents avec les besoins futurs de l’investisseur : train de vie, projets, passif… La diversification s’obtient par la sélection d’actifs dont la valorisation intègre une composante elle-même liée à l’évolution des devises que nous surveillons et assumons.

Extrait de la lettre de la gestion privée, 4ème trimestre 2018 – Rédigée en date du 25/10/2018

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