Point conjoncturel – Mars- Avril 2023

États-Unis : vers une récession plus précoce ?

Les difficultés rencontrées par certaines banques américaines ont mis en lumière des poches de fragilité au sein du système financier américain. Entre le 8 mars et le 12 mars, trois banques régionales ont fait faillite : Silvergate Bank, Silicon Valley Bank (SVB), et Signature Bank. Ces faillites impliquent plus de 300 milliards de dollars d’actifs, la somme la plus importante depuis la crise financière de 2008.

Ces banques ne font pas peser de risque systémique direct sur le système bancaire, n’étant pas des nœuds centraux du système financier comme Lehman Brothers pouvait l’être. Toutefois, cette situation influence négativement le sentiment à l’égard du secteur financier dans son ensemble, avec un risque que les craintes deviennent auto-réalisatrices.

Pour empêcher la contagion, les autorités américaines sont intervenues rapidement et massivement. L’action des autorités a jusque-là consisté à convaincre les déposants que leurs dépôts étaient en sécurité et à fournir de la liquidité au système bancaire. Les chiffres hebdomadaires sur le bilan des banques et le recours à la Fed sont rassurants, mais l’absence de rebond de l’indice boursier des banques américaines montre que les inquiétudes demeurent.

L’impact négatif de ces évènements sur l’économie reste très incertain. Les banques régionales jouent un rôle important dans l’économie américaine (environ 40% des prêts à l’économie), mais il semble encore trop tôt pour déterminer dans quelle mesure les conditions de financement vont se durcir et impacter l’économie.

Les dernières statistiques brossent un portrait ambigu de la dynamique conjoncturelle. En positif, on peut notamment noter la consommation très forte en ce début d’année et la stabilisation de l’activité dans le secteur résidentiel. En négatif, la composante « nouvelles commandes » de l’ISM* manufacturier est proche de niveaux atteints seulement dans des récessions (voir graphique ci-dessous), l’ISM non-manufacturier se dégrade et le marché du travail montre des signes d’affaiblissement. Ces signaux nous amènent à augmenter la probabilité d’une entrée prochaine de l’économie américaine en récession.

Pour la Fed, cette situation ajoute une nouvelle complexité. D’un côté, l’inflation demeure très élevée. De l’autre, les risques pour la croissance et la stabilité financière ont augmenté. Le discours du 22 mars de Jerome Powell était donc plus prudent sur la trajectoire des taux. Les membres de la Fed anticipent encore une hausse de +25 points de base d’ici à la fin de l’année si l’économie se comporte comme prévu : le décalage reste important avec le marché, qui anticipe désormais trois à quatre baisses de taux de 25 points de base d’ici à la fin de l’année.

* ISM : indicateur d’activité américain. Au-dessus de 50 points, il indique une évolution favorable, et inversement lorsqu’il se situe en-dessous de 50 points.

Zone euro : La BCE navigue à vue

Malgré une intervention rapide des autorités américaines pour empêcher une contagion des tensions financières, les craintes se sont transmises à l’Europe en se concentrant sur le cas de Credit Suisse qui a finalement été racheté par UBS. Les porteurs de dette hybride Additional Tiers 1 émises par Credit Suisse ont vu l’annulation totale de leur créance, pour un montant de 16 milliards de francs suisses, tandis que les actionnaires ont bénéficié d’un dédommagement. Cette inversion de la hiérarchie classique des remboursements a mis le marché de la dette subordonnée bancaire sous forte pression.

Toutefois, la BCE est rapidement intervenue pour assurer que cela serait a priori impossible en zone euro, en rappelant que les banques européennes étaient bien capitalisées et qu’elles n’avaient pas de problème de liquidité. Au quatrième trimestre 2022, leurs ratios de solvabilité (CET1) et de liquidité à court terme (LCR) étaient très supérieurs aux exigences règlementaires, à respectivement 15% et 165% selon les données de l’Autorité bancaire européenne.

La solidité des banques européennes devrait a priori limiter le risque d’un scénario similaire à celui de SVB et de Crédit Suisse, qui sont des cas spécifiques. Néanmoins, Crédit Suisse respectait également tous les ratios règlementaires. Cela montre que le respect des normes prudentielles peut parfois ne pas suffire à résister à des retraits massifs et que la confiance des déposants et des marchés est clé. Les données de la BCE sur l’évolution des dépôts bancaires en mars ne sont pas encore disponibles, mais les données de marché montrent un apaisement des tensions.

Quel sera l’impact de ces turbulences sur l’économie ? Cela dépendra notamment de l’évolution des conditions de financement. Avant ces évènements, les banques européennes avaient déjà commencé à resserrer les conditions d’octroi de crédit. Cette tendance va-t-elle s’amplifier ? Bien que les tensions financières pourraient effectivement amener les banques à se montrer plus frileuse, l’environnement de croissance est quant à lui plus rassurant qu’il ne l’était il y a quelques mois, quand la crise énergétique faisait craindre une entrée imminente en récession. Les enquêtes PMI* se sont nettement redressées au cours des derniers mois et l’amélioration se poursuivait en mars.

Si l’impact économique des tensions financières reste limité, la BCE devrait poursuivre ses hausses de taux. La baisse des prix de l’énergie permet un ralentissement notable de l’inflation globale, mais l’inflation hors énergie et alimentation reste forte à +5,7% sur un an en mars. On n’observe pas non plus de signe de dégradation du marché du travail. Le 16 mars, Christine Lagarde a augmenté les taux directeurs de +50 points base sans donner d’indication sur le prochain mouvement. De fait, la BCE semble basculer dans une phase de navigation à vue. Les marchés anticipent environ deux hausses de taux de +25 points de base d’ici à la fin de l’année, ce qui porterait le taux de dépôt à 3,50%.

 

** PMI : Purchasing Managers Index. Les indices PMI sont des indicateurs de confiance qui synthétisent les résultats des enquêtes menées auprès des directeurs d’achats des entreprises. Une valeur supérieure à 50 indique un sentiment positif dans le secteur concerné (manufacturier ou service).

 

Chine : poursuite de la reprise économique

Dans le cadre de la réunion annuelle du parlement chinois, qui s’est tenue du 4 au 13 mars, les autorités chinoises ont présenté leurs objectifs pour 2023. La cible de croissance a été fixée à « environ +5,0% », après une croissance réalisée de +3,0% en 2022, un objectif plus modeste qu’attendu et que les prévisions de croissance des analystes, le consensus Bloomberg se situant à +5,3% à la fin du mois de mars.

Selon les déclarations des autorités, cet objectif ne sera toutefois pas facile à atteindre. Les autorités soulignaient notamment une augmentation des incertitudes extérieures (perte de vitesse de l’économie mondiale, tensions avec les pays occidentaux, …) et des difficultés sur le plan intérieur (insuffisance de la demande, faiblesse du marché immobilier, …).

Les autres objectifs étaient globalement conformes aux attentes : une inflation à « environ +3,0% » et un taux de chômage à « environ 5,5% », des cibles similaires à celles de l’année dernière. S’agissant des politiques économiques, les autorités entendent maintenir une politique budgétaire « proactive » et une politique monétaire « prudente ».

Le 17 mars, la banque centrale chinoise a annoncé une réduction d’un quart de point du taux des réserves obligatoires pour les banques. Cette baisse est concomitante avec les tensions financières aux Etats-Unis et en Europe, mais le marché interbancaire chinois ne montrait pas de stress particulier. Ces injections de liquidité pourraient viser à libérer de la capacité de prêts pour les banques, les crédits ayant été très dynamiques en début d’année, sur fond de reprise économique.

Les données des mois de janvier et février, publiées conjointement pour éviter des distorsions liées au calendrier du Nouvel an, montraient effectivement un net rebond de l’activité post levée des restrictions sanitaires. En glissement annuel, la plupart des indicateurs étaient en hausse.

Les activités de services ont notamment connu une forte reprise et la consommation des ménages a rebondi. La production de services est passée de -0,8% à +5,5% et les ventes au détail de -1,8% à +3,5%. Les ménages sortant davantage, les ventes du secteur de la restauration, de cosmétiques et de vêtements ont nettement rebondi.

L’activité semblait également redémarrer un peu dans le secteur de l’immobilier. Les investissements immobiliers sont passés de -12,2% à -5,7%, les ventes de logements de   -31,5% à -0,6% et les mises en chantier de -44,3% à -9,4%. L’indice mesurant l’évolution des prix dans les 70 principales villes était en légère hausse d’un mois sur l’autre, après 17 mois de contraction.

Les enquêtes PMI indiquaient une poursuite de la reprise économique au mois de mars, le PMI composite du NBS atteignant un nouveau plus haut à 57,0, sous l’impulsion du secteur non-manufacturier.

 

Voir aussi : https://latribune.lazardfreresgestion.fr/point-conjoncturel-février-2023/

L’opinion exprimée ci-dessus est datée du 6 avril 2023 et est susceptible de changer.

 

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