Une économie (trop) dynamique
Un certain nombre d’indicateurs suggèrent une résistance de l’activité économique et une reprise des tensions sur le marché du travail, conduisant à un scénario de « no landing » qui pourrait inciter la Fed à reporter les baisses de taux prévues pour 2024. Le risque est qu’un nouveau soutien à l’économie américaine relance l’inflation. De fait, les discours des banquiers centraux sont devenus plus prudents et les investisseurs ont fortement réduit leurs anticipations de baisse des taux. Désormais, les marchés obligataires estiment à 65% la probabilité d’une première baisse des taux en juin et intègrent un peu moins de 100 points de base de baisse des taux cette année. Ce scénario est plus en phase avec les prévisions de décembre de la Fed qui annonçaient 3 baisses de taux de 25 points de base en 2024.
Les chiffres du PIB ont montré que la croissance américaine a été très solide au dernier trimestre 2023, atteignant +3,3% en rythme trimestriel annualisé. La consommation des ménages a été le principal moteur de cette croissance, et s’est montrée particulièrement dynamique en décembre. Les dépenses des ménages ont continué à augmenter plus rapidement que leurs revenus, ce qui indique que la baisse du taux d’épargne contribue à cette dynamique. Les enquêtes d’activité ont rebondi en janvier, soutenues par les nouvelles commandes et un fort rebond de l’emploi dans les services. Cette évolution est cohérente avec le rapport sur l’emploi de janvier qui s’est avéré très solide.
Plus de 350 000 emplois ont été créés sur le mois tous secteurs confondus, et les données de l’année passée ont été révisées en hausse (+30 000 en moyenne chaque mois). De plus, le regain des créations d’emplois concerne des secteurs qui semblaient ralentir nettement au cours des derniers mois. Le taux de chômage est reparti à la baisse pour s’établir à 3,66% après 3,74%, alors que la Fed tablait dans ses prévisions de décembre sur une remontée progressive vers 4,1% d’ici à la fin de l’année.
Le salaire horaire a réaccéléré, avec une progression mensuelle deux fois plus élevée par rapport aux attentes (+0,6% contre +0,3%). Ces résultats sont sans doute trop importants pour que la Fed soit convaincue du retour de l’inflation vers son objectif de 2%. D’autant plus que les derniers chiffres de janvier n’étaient vraiment pas satisfaisants.
L’inflation totale a connu un ralentissement moins important que prévu, tandis que l’inflation sous-jacente a fait du surplace, à respectivement +3,1% et +3,9% sur un an en janvier. De plus, la variation mensuelle montre une réaccélération de l’inflation dans les catégories où les prix évoluent plus lentement (services hors logement et logement). A contrario, les prix des biens ont poursuivi leur baisse. Leur contribution est actuellement négative alors qu’elle était en moyenne nulle avant la pandémie. Lorsque cette situation se normalisera, l’inflation réaccélérera mécaniquement. L’évolution des prix des services, qui reste très corrélée à celle des salaires, demeure donc un facteur clé.
Stagnation de l’activité
Les indicateurs économiques montrent une stagnation de l’activité et un ralentissement de l’inflation, tandis que le taux de chômage se maintient à un niveau très bas et les salaires progressent à un rythme élevé. Ces facteurs devraient inciter la BCE à faire preuve de prudence dans l’élaboration de sa politique monétaire. Christine Lagarde a évoqué l’été prochain comme le moment le plus probable pour la première baisse des taux, mais il faudra sans doute des signes concrets de ralentissement des salaires pour qu’elle agisse en ce sens. Le risque est que les entreprises répercutent l’augmentation de leurs coûts salariaux sur les consommateurs, retardant ainsi le retour de l’inflation vers 2%. D’autant plus que la baisse de la productivité du travail augmente le coût unitaire de production. Autrement dit, les salariés coûtent plus chers et produisent moins, ce qui constitue une double pénalité pour les marges des entreprises. Les marchés obligataires attribuent désormais une probabilité de 80% à une première baisse des taux en juin et intègrent environ 100 points de base de baisse des taux cette année, un scénario qui ramènerait le taux de dépôt à 3,0%.
Le PIB de la zone euro a fait du surplace au dernier trimestre, après une légère contraction au troisième trimestre. Cela masque des évolutions contrastées entre les pays périphériques et les pays du cœur, avec une dynamique plus positive pour les premiers et moins favorable pour les seconds. Alors que le PIB a augmenté de +0,6% en Espagne et de +0,2% en Italie, il a stagné en France et baissé de 0,3% en Allemagne. Si la zone euro a évité de justesse un basculement en récession technique au second semestre 2023, ce n’est pas le cas du Royaume-Uni où le PIB a baissé de 0,3% au T4 après une baisse de 0,1% au T3. Cependant, il ne s’agit pas d’une véritable récession puisque la baisse de l’activité ne s’accompagne pas d’une détérioration marquée du marché du travail. A contrario, le taux de chômage s’oriente à la baisse et la confiance des entreprises s’améliore nettement depuis trois mois.
La confiance des entreprises est également mieux orientée dans la zone euro. Bien que les indices PMI sont encore à des niveaux plutôt faibles (48,4 en janvier pour l’indice composite), les nouvelles commandes connaissent un rebond dans le secteur manufacturier et dans les services, ce qui constitue une évolution favorable. Les données relatives au crédit vont également dans le sens d’une amélioration de la conjoncture. Selon l’enquête de la BCE sur la distribution du crédit bancaire au T4 2023, les banques prévoient une hausse de la demande des entreprises et une moindre tension dans les conditions d’octroi de prêts par rapport à la fin 2022 et au début 2023. A ce titre, les données relatives aux flux mensuels de prêts montrent un début de stabilisation des prêts au secteur privé. Par conséquent, si la politique monétaire de la BCE continue d’influencer efficacement les conditions de financement, il se pourrait que le pic du resserrement monétaire soit déjà derrière nous.
* PMI : Purchasing Managers Index. Les indices PMI sont des indicateurs de confiance qui synthétisent les résultats des enquêtes menées auprès des directeurs d’achats des entreprises. Une valeur supérieure à 50 indique un sentiment positif, tandis qu’une valeur inférieure à 50 indique un sentiment négatif.
Stabilisation de la croissance
En Chine, la croissance a ralenti à la fin de l’année dernière, mais les mesures de soutien semblent commencer à se diffuser progressivement dans l’économie, et les premières données pour 2024 indiquent que la croissance ne ralentit plus. En revanche, l’activité immobilière continue à se dégrader et les marchés actions ont fortement baissé au cours des derniers mois, signe que la confiance des ménages et des investisseurs reste fragile. A l’inverse des Etats-Unis et de la zone euro, l’économie chinoise est soumise à des pressions déflationnistes. Pour autant, la banque centrale maintient une politique monétaire assez prudente pour ne pas encourager l’augmentation de la dette intérieure en baissant agressivement ses taux d’intérêt. Le soutien à l’activité passe davantage par des mesures ciblées de relance du crédit et la mobilisation de la politique budgétaire.
Les chiffres du PIB pour le quatrième trimestre montrent que la croissance du PIB a ralenti à +4,1% en rythme trimestriel annualisé après un chiffre revu en hausse de +6,1% au troisième trimestre. Sur l’ensemble de l’année 2023, la croissance ressort un peu au-dessus de la cible des autorités (5%) à +5,2%. La consommation et les services ont été les principaux moteurs de croissance. L’investissement a également contribué positivement malgré une baisse d’environ 10% des dépenses dans le secteur de l’immobilier. Celui-ci représentant un peu plus de 10% du PIB, on peut estimer que cela a retranché environ 1 point à la croissance. Le commerce extérieur a légèrement pesé sur l’économie. La hausse des exportations a été limitée (environ +3% en volume) mais elle est plus rapide que dans le reste du monde. Le poids des exportations chinoises dans les exportations mondiales a ainsi légèrement augmenté pour atteindre 16%. En d’autres termes, la Chine a augmenté sa part de marché à l’export.
Les échanges commerciaux avec les Etats-Unis ont continué à diminuer mais la Chine a renforcé ses liens avec d’autres partenaires tels que la Russie.
Les données d’activité de décembre étaient contrastées. Parmi les éléments positifs, l’activité industrielle et les exportations se sont améliorées et les dépenses d’investissement ont commencé à s’accélérer dans les secteurs bénéficiant d’un soutien public (manufacturier, infrastructures). Parmi les éléments négatifs, les ventes au détail déçoivent depuis deux mois et les indicateurs du marché de l’immobilier restent orientés à la baisse. Les premiers indicateurs pour 2024 sont plutôt encourageants. Les enquêtes d’activité poursuivent leur redressement et la croissance du crédit rebondit, portées par l’augmentation des prêts bancaires. En revanche, le ralentissement de l’inflation semble s’accélérer. Les prix sont en baisse de 0,8% sur un an et n’augmentent que de +0,4% hors énergie et alimentation.
Voir aussi: https://latribune.lazardfreresgestion.fr/perspectives-economiques-janvier-2024/
L’opinion exprimée ci-dessus est datée du 29 février 2024 et est susceptible de changer.
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